Dans son dernier roman, Hélène Gaudy revient sur le passé de son père, mais également de son grand-père. À travers son roman-enquête, elle interroge notre rapport à la mémoire ainsi qu’aux liens familiaux. « Ausculter des lieux, réels ou imaginaires. Faire entendre des voix. Évoquer le rapport fantomatique qu’entretiennent les vivants et les morts, les images et les mots, constitue le singulier projet littéraire d’Hélène Gaudy », pour reprendre les termes de Dominique Aussenac.

Archipels, comme son titre l’indique, laisse entendre un désir de confusion dans le paysage et la géographie. Les îles selon Hélène Gaudy représentent à la fois la liberté et l’enfermement. Elle ira jusqu’à comparer la sphère familiale au réseau que représente l’archipel : « Chaque famille est une île, un écosystème, enrichi ou perturbé par les espèces invasives, une île dont le tréfonds repose au fond de l’eau. Si on plonge la main à travers la surface se forment des remous, des cercles concentriques. Si on ne manque ni d’énergie ni de patience, l’onde se transmet peu à peu aux couches plus obscures, et celles qu’on croyait solidifiées comme des blocs d’ambre révèlent le mouvement qui les trouble – ce qui agit, toujours, bien profond sous nos pieds. » 

Le récit de filiation possède deux grands enjeux : un premier qui est testimonial, et un second qui participe à une forme de réparation mémorielle.

En reprenant le principe de l’enquête, l’autrice va chercher à comprendre une figure importante de sa vie : son propre père. Son projet illustre une volonté de travailler sur une personne proche sous le prisme de l’inconnu, afin de la percevoir d’une autre manière : « Il n’est pas plus facile de décrire mon propre père que des explorateurs suédois du XIXe siècle. J’ai tenté, pour le faire, de me servir des mêmes outils, l’observation, la déduction, les mots et les images, une enquête de proximité pour mieux le découvrir, le rencontrer. Mais quelque chose s’épuise dans la rencontre, dans le simple partage de ces jours de chaleur. »

Un récit de filiation

Archipels s’inscrit dans le genre du « récit de filiation ». Écrire sur ses parents, c’est aussi écrire sur soi. Pour le dire avec les mots de Guy Larroux, Archipels constitue donc une « autobiographie indirecte ». Hélène Gaudy se construit ainsi, par un retour sur elle-même et ses origines. Elle semble se sentir enfin prête : « Il est rare qu’un récit survienne au moment où l’on est prêt à l’entendre. Beaucoup ratent leur cible, se déploient dans l’indifférence. »

Le récit de filiation possède deux grands enjeux : un premier qui est testimonial, et un second qui participe à une forme de réparation mémorielle. Testimonial d’une part, car il s’agit du partage de souvenirs familiaux, d’un passé commun qui a contribué à la formation des différents individus de cette famille. Une réparation mémorielle d’autre part, car il est question pour Hélène Gaudy de ramener son père à des moments passés, eux aussi constitutifs de son identité, et qu’il perd peu à peu à cause de son âge.

La narration est étayée par des faits avérés, sourcés. Cette précision est notamment liée à la présence du fameux « atelier » du père : « Je marche avec mon père vers l’atelier avec l’impression de me rendre à un spectacle qu’il aurait préparé pour moi pendant des années. J’ai failli rater la représentation, j’ai failli arriver trop tard, mais je suis là, avec lui, et nous marchons, dans les rues calmes, jusqu’à la cour pavée cernée de murs blanc sale, jusqu’aux objets serrés les uns contre les autres, dans l’obscurité. Je suis peut-être la visiteuse qu’il attendait. »

L’autrice a voulu que le père participe à la réécriture, créant ainsi un texte à plusieurs mains. C’est une manière de faire ressurgir des souvenirs, tout en contribuant à la transmission des héritages : « Dans la marge, je découvre, fébrile, ses commentaires. Chacune de ses notes au crayon est une petite victoire. Aux briques que j’ai posées, il a accepté d’ajouter les siennes, d’agrandir l’édifice qu’offre ma curiosité à son amnésie. C’est toujours ça de gagné sur la masse de l’oubli, enfin des souvenirs précis, ancrés quelque part. » D’une certaine manière, le père redécouvrait son histoire passée par le biais sa fille.

Une accumulation de traces

Dans l’accumulation de traces au fur et à mesure des découvertes de l’autrice lors de son enquête, on obtient une forme de reconstitution de l’Hist...