À quelques encablures de la place Beauvau, là où bouillonne le pouvoir, s’élève depuis la rue de Miromesnil un chant apaisant venu du fond des âges, celui de l’artiste Hermine Bourdin, démiurge passionnée, qui ressuscite les déesses des temps anciens dans la Galerie Julie Caredda, transformée jusqu’au 7 octobre en un temple où l’on vient adorer silencieusement l’art et le geste sacré de l’artiste.
En pénétrant la galerie, l’on est saisi par une douce énergie qui émane sans nul doute des sculptures en grès de l’artiste qui nous rappellent les Vénus stéatopyges du paléolithique supérieur. Avec Axis Mundi, Hermine Bourdin nous invite à tisser un lien avec les anciens mythes et un imaginaire commun qui transcende le temps. Le visiteur plonge dans l’Histoire de l’Art, découvre un pan de recherches archéologiques et artistiques méconnues. On y apprend l’importance de la femme dans les civilisations anciennes que l’on sous-estime grandement. À ce titre, la curation de l’exposition est remarquable et les œuvres nous invitent à l’humilité. Outre le texte de Christopher Yggdre qui est un véritable hommage à l’artiste, une vidéo de l’archéologue Marija Gimbutas éclaire le travail d’Hermine Bourdin et nous révèle l’existence d’une culture préhistorique de la déesse. La Vénus de Willendorf ou encore la Vénus de Lespugues s’inscrivent finalement dans une série d’objets cultuels et profanes en hommage à une déesse mère.
Les sculptures d’Hermine Bourdin apparaissent comme un hommage aux recherches de Marija Gimbutas et à ces sociétés matriarcales pré-indo-européennes antérieures à l’âge du bronze. À ce titre, il faut lire l’ouvrage qui a contribué à la renommée de l’archéologue : The Language of the Goddess, qui pose l’existence de cette civilisation matriarcale articulée autour du culte d’une déesse mère. Au fond de la galerie, une œuvre intitulée Axis Mundi, écho au concept de Mircea Eliade, trône au sein d’une alcôve comme un autel. Deux piliers en grès poudré blanc soutiennent en équilibre une déesse aux courbes voluptueuses. Cette sculpture semble être le seuil d’un autre monde, plus spirituel, plus mystique, plus sacré. Les fleurs fraîches et les plantes entourent cette sculpture. Hermine Bourdin insuffle une pulsion de vie dans son exposition personnelle.
L’art néo-préhistorique
Nous fûmes sensibles à cette exposition et surtout à la démarche que propose l’artiste. Nous y avons vu un écho aux recherches scientifiques et artistiques que nous menons avec l’artiste Solène Kerlo. En ce sens, notre curiosité fut touchée et notre compréhension encore plus grande. La série des statues votives d’Hermine Bourdin convoque les symboles primordiaux des civilisations anciennes. Ces symboles que l’on retrouve dans l’art pariétal sont un monde à déchiffrer et nous rappellent un passé commun. Chez l’artiste, les symboles ornent les ex-voto aux différentes formes et textures. Ils sont autant de façons de représenter la déesse, idée directrice de cette exposition qui actualise un art ancien et sacré.
Cette quête du féminin, qui place le corps symbolique au centre, se présente sous différentes formes. Outre les sculptures en grès, l’artiste offre aux visiteurs une série de dessins au graphite. On y voit la volonté de laisser une trace, pulvérulente, comme sur les parois des grottes, mais aussi le long travail de l’artiste qui a expérimenté et cherchér à tâtons les meilleures formes possibles. Ces dessins se doublent de photographies en noir et blanc qui mettent en scène l’artiste revêtue d’un costume, inspiré de ses déesses qui rappellent finalement les Nanas de Niki de Saint-Phalle, au milieu de ruines de temples des civilisations de la déesse dont parle Marija Gimbutas. Puis, vous descendez au sous-sol de la galerie – devrais-je dire la crypte ? – pour visionner deux films expérimentaux, Le Ruchier et la Forêt, qui laissent à voir la symbiose de l’artiste et de la Nature. Union charnelle et spirituelle, les deux films sont comme une danse sensuelle qui miment les formes voluptueuses des sculptures. Ils sont une ode au vivant et la promesse d’un retour vers la déesse.
Hermine Bourdin, une technique de la douceur
Ma fascination pour la technique et le savoir-faire m’invite à évoquer la maîtrise et le geste de l’artiste. Les sculptures en grès d’Hermine Bourdin sont d’une grande délicatesse. Les formes callipyges sont permises par un aspect très doucereux de la pierre obtenu grâce à un long processus de brossage donnant une texture poudrée au grès. Les courbes et les lignes sont alors d’une grande élégance et d’une grande finesse. En outre, certaines sculptures sur le mur d’ex-voto présentent un aspect glacé en engobe de porcelaine que l’artiste vient craqueler comme si la déesse désirait ardemment se libérer de cette entrave. Hermine Bourdin joue avec les couleurs terrestres : du noir en passant par le sable ou encore le marron voire le polychromique.
L’utilisation du graphite pour ses dessins rappelle la texture pulvérulente des pigments dans l’art pariétal. Les formes sont simples mais leur présence est remarquable. Pourrait-on dire qu’il s’agit là d’une puissance sans violence ? La déesse semble se manifester par les simples traits de crayon et le jeu des ombres délicat.
Les photographies, quant à elles, font se rencontrer la performance et la sculpture. Les tirages d’art montrent une danse sacrée, incarnation d’une pensée oubliée, mais revitalisée par le geste de l’artiste. La figure de l’artiste figée en sculpture se donne comme une apparition d’outre-monde, prête à être adorée dans les ruines. Elle est la vox clamantis in deserto.
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Dans le marathon artistique qu’impose la rentrée, cette exposition marque et témoigne de la vivacité de la création et de la recherche, toujours possible, en art. Hermine Bourdin est une artiste à suivre.
- Axis mundi, exposition personnelle d’Hermine Bourdin, Galerie Julie Caredda – 4, rue de Miromesnil – 75008, Paris.
Illustration : Personnification à Santa Verna, Hermine Bourdin, île de Gozo, 2023, impression fineart sur papier hahnemühle, 308g, 15 x 23,5 cm