
Initiateur du mouvement surfiguratif, Jacques Cauda manie la plume comme il manie le pinceau, soit avec passion, gourmandise, frénésie. Auteur de nombreux ouvrages de forme éclatée, souvent écrits dans l’urgence, l’homme revient avec un “roman”, ou plutôt un texte corrosif, mêlant tableaux terrifiants et souvenirs personnels en une prose résolument expérimentale.
Brutalité(s)

Faut-il voir là pure complaisance morbide ? Si, généralement, la littérature ne s’encombre guère de morale, comment ne saisir ici l’intérêt proprement cathartique de pareil déchainement ? À l’instar d’Octave Mirbeau, Jacques Cauda semble ici se purger, et donc purger le lecteur spectateur, complice, des passions tristes. Et son Fête la mort ! n’est pas loin du Jardin des supplices, sombre conte anticolonial s’achevant par une longue rêverie sanglante, où des bourreaux orientaux mutilent divers malheureux, sous l’œil fasciné d’une Européenne névrosée.
Un récit bigarré, expérimental
C’est une autobiographie du désir, comme si le créateur, délibérément, choisissait de confondre réminiscences, autofiction(s) et visions mentales, soit les mauvais trips décrits plus haut.
Les récits se mêlent en une savante furie verbale : on croise ainsi une certaine Mèrepute, figure bien peu maternelle, au vrai, mais aussi des figures apparemment plus réelles, non moins inquiétantes. Nous ne savons ainsi jamais si nous sommes dans la pure fiction, ou dans le souvenir, notamment lorsque l’auteur évoque ses années lycée, et son penchant pour l’anarchisme, ou encore ses ex petites amies, décrites souvent de façon très crue. Récit de l’imaginaire, Fête la mort ! est donc aussi, même très partiellement autobiographique. Tout se brouille à travers le canal de l’écriture, et l’auteur lui-même ne fournit aucune clef. On pourrait donc parler d’autobiographie du désir, comme si le créateur, délibérément, choisissait de confondre réminiscences, autofiction(s) et visions mentales, soit les mauvais trips décrits plus haut. Comme dans Comilédie (chroniqué par nos soins dans Diérèse 74), souvenirs littéraires, souvenirs intimes et imaginaires se confondent, sans intrigue prédéfinie, en une sorte d’écriture automatique.
Cette volonté de brouiller les cartes se retrouve aussi sur le plan narratif et stylistique, faisant de Fête la mort ! un texte délibérément expérimental, anticlassique, non romanesque au sens strict. Et la forme elle-même reflète ce désir de rompre avec toute logique narrative, puisque nous passons de la prose à la poésie, au vers, de manière parfaitement arbitraire, avec cette verve rabelaisienne typiquement caudesque, cette éternelle drôlerie morbide : Le jour vient de paraître : bite ! Éblouissement/Comme un flot de foutre d’enivrante lumière/Le sexe en l’air dès l’heure première/Inondant de désir l’immense enfoncement (p. 103).
Choqué sinon malmené par tant de radicalités, le lecteur potentiel y trouvera donc peut-être une forme d’exutoire,
Volume déroutant, provocateur, Fête la mort ! s’inscrit dans la continuité des précédents Cauda, et se trouve publié aux toutes jeunes éditions parisiennes « sans crispation », tournées vers la modernité. Choqué sinon malmené par tant de radicalités, le lecteur potentiel y trouvera donc peut-être une forme d’exutoire, au sens aristotélicien du terme, ou à tout le moins un désir extrême d’évoquer l’inconscient, dans sa dimension trouble, dérangeante. Quoi qu’il en soit, Fête la mort ! ne saurait laisser indifférent.
Bibliographie :
Cauda, Jacques, Fête la mort !, éditions Sans crispation, Paris, 2020.