À l’occasion deIncarnations, le corps dans la collection du MacLYON, une série d’expositions et de manifestations convoquant la présence de l’organisme faillible tout au long de 2023, le MacLYON accueille jusqu’au 9 juillet l’exposition INTERFEARS de Jesper Just, laquelle interroge le sensible de l’humain sous l’œil averti de la technologie.
C’est comme si l’on plongeait dans les entrailles de l’âme. Une âme noire, intimidante, une âme mortelle, l’âme de l’être humain. Quand on rentre dans la sombre salle où se loge INTERFEARS, un premier étonnement nous saisit, celui de l’immensité de l’écran en toile qui se dresse devant nous. Au rythme de l’accommodation optique, un chemin se dessine alors dans l’ombre, fait de gradins toute moquette vêtue. Oserons-nous nous y asseoir malgré que INTERFEARS nous guette ? A tâtons peut-être, réconforté par la présence de visiteurs éparpillés, muets, eux-aussi, face à l’intensité de l’interférence mêlée à la peur, face à INTERFEARS.
INTERFEARS, COMME TOPOGRAPHIE HUMAINE
Cette relation renouvelée entre le visiteur et l’œuvre, tendant à une sorte d’art total, semble être la substance des œuvres de Jesper Just. Cette volonté brûlante de placer l’individu plutôt que l’œuvre au centre de sa pratique, l’artiste danois l’a nourrie de la technique cinématographique. Pourtant, les films de Jesper Just ne sauraient se confondre avec le septième art. Si les images raffinées et les temps lents pourraient nous méprendre, leurs rythmes et bandes sonores inhabituels fonctionnant comme des dialogues les éloignent définitivement du cinéma. Le langage du cinéma déconstruit, Jesper Just s’empare aussitôt des rôles de chacun et de tous, en créant un nouvel équilibre entre sujet, projet, acteurs et spectateur. Ce renversement des valeurs explique en partie le langage qu’il utilise dans ses films, mais aussi le dispositif qu’il met en place et l’équilibre qu’il établit entre histoire et expérience.
INTERFEARS porte un regard clinique sur les émotions en tant qu’artefacts et un regard critique sur les représentations émotionnelles autant d’artificielles, qu’elles émanent d’un individu ou qu’elles soient retranscrites par une machine.
INTERFEARS porte un regard clinique sur les émotions en tant qu’artefacts et un regard critique sur les représentations émotionnelles autant d’artificielles, qu’elles émanent d’un individu ou qu’elles soient retranscrites par une machine.
INTERFEARS, UNE IMAGE COMME LANGAGE
Dès le début de l’exposition, on ne peut qu’être aspiré par les yeux filmés en gros plan de Matt Dillon, dont les pupilles reflètent la difficulté pour l’acteur de ressentir les émotions qui le traverse. Ainsi emprisonné dans un scanner oppressant d’imagerie par résonance magnétique (IRM), les ondes cérébrales provoquées par ces émotions au demeurant mortifères sont enregistrées et représentées en deux et trois dimensions. Et puis cette rotation de l’image, qui ne s’arrête jamais. Un mouvement lent, quasiment protocolaire. A cet instant, on comprend qu’en plus du regard profond de Matt Dillon, la relation entre l’image et le déplacement seront au coeur de l’expérience que nous propose Jesper Just, pour que jamais nous n’oublions le motio, mouvement en latin, émotions en français. C’est là un paradoxe dont on peut s’étonner : Malgré le mouvement de la caméra, l’acteur ne parvient pas à ressentir des émotions. Le langage fondé sur l’image créée par les décors cinématographiques répond à cette interrogation. Les palmiers à la vivacité trop calme pour ne pas dire mortifère et le ciel trop blanc pour être vecteur de vie mènent au constat d’une nature morte, dépourvue de toute émotions, de toute humanité. Les émotions sont produites par l’environnement, lequel n’est jamais neutre socio culturellement, et Matt Dillon en est la malheureuse incarnation.
INTERFEARS, ENTRE VIBRATION ET SONS COMME EMOTIONS
« On s’embrasse, je ne ressens rien ». La voix de l’acteur résonne en nous avant même de pénétrer INTERFEARS. Un timbre grave, celui qui rassure de son vécu, celui qui enveloppe de sa sagesse. Ce sera précisément ce monologue que la froideur menaçante de la machine enregistrera. Aussitôt, les émotions réapparaissent. Une effervescence de motifs, ceux de la « symphonie neuronale » s’empare de l’IRM. L’Anxiété. La joie. La peur. La tristesse. Le soulagement. Portés par le vibrant adegetto de la Cinquième Symphonie de Gustaiv Mahler, l’œil de Matt Dillon s’humidifie, intensément. « J’avais peur ». Que doit-on comprendre ? Sans doute que l’environnement de l’acteur ne sera pas un lieu, mais une réponse singulière, celle de la mélodie. On s’éloigne de la mort pour se rapprocher de de l’imperfection, des dysfonctionnements, de la mortalité. Lorsque l’on s’attarde sur les liens entre musique et cerveau, on saisit le plaisir et la douleur de l’acteur que suscite l’acte même de se souvenir au gré d’expériences et d’apprentissages ressuscités.
Comme la voix qui résonne dans la salle, les mots et les notes de musique de INTERFEARS résonnent dans notre tête. « J’ai rêvé d’être ici ».
Tout au long de l’exposition, INTERFEARS joue simultanément sur l’empathie et la capacité des spectateurs à percevoir et à analyser le registre et la nature de leurs propres émotions, quand elle ne pas questionne pas leur existence.
Un article de Laurine Lafay-Pelorce
Crédit photo : Jesper Just, INTERFEARS, © Perrotin, Lyon 2023, Mac Lyon, Photo Lionel Rault
