Dans La grâce politique du monastère, Timothée de Rauglaudre présente le monastère chrétien comme le lieu d’incarnation d’un idéal en profonde opposition avec la trajectoire mortifère des sociétés occidentales : seulement une perspective autant en rupture avec l’époque ne peut s’adresser qu’à une minorité.

Le monastère, incarnation d’un modèle alternatif au capitalisme

On le répète à l’envi depuis que Jean-François Lyotard a diagnostiqué la fin des grands récits : la post-modernité voit se multiplier les propositions alternatives, en dialogue les unes avec les autres, mais aussi en compétition. Parfois, ces propositions alternatives ne sont qu’une reconduction de la société qu’elles prétendent remplacer, comme la nébuleuse consumériste des produits New Age livrés sur Amazon, ou encore le « bouddhisme à l’occidental » qu’a brillamment décrit Marion Dapsance. Certaines propositions, néanmoins, méritent qu’on s’y intéresse : et le livre de Timothée de Rauglaudre vaut à ce point de vue le détour.

La deuxième raison de l’intérêt de cet ouvrage – que son auteur revendiquerait sans doute moins que la première – est qu’il faut bien constater un certain regain de foi dans nos sociétés, ou plutôt une vitalité renouvelée de secteurs de la population chez lesquels la foi est importante. La société est athée dans sa majorité, mais en son sein les minorités qui structurent leur vie autour de la religion sont de plus en plus nombreuses et agissantes. 

C’est dans ce double cadre – foire aux propositions alternatives et regain d’intérêt pour les propositions religieuses radicales – qu’il faut lire La grâce politique du monastère. L’auteur nous y présente, à la fois dans le temps long et en s’appuyant sur des enquêtes menées dans des monastères contemporains, comment, d’après lui, le vieux monachisme chrétien pourrait offrir une issue à une modernité occidentale dont il dresse un constat d’échec sans appel.

“Le vieux monachisme chrétien pourrait offrir une issue à une modernité occidentale en échec.”

À rebours de l’accélération induite par le capitalisme pour qui « le temps, c’est de l’argent », le monastère détonne par sa lenteur. C’est que, au contraire d’un monde livré au productivisme et qui plie donc le vivant et le temps aux impératifs productifs, le monastère subordonne toute activité au bonheur et au destin spirituel de la communauté. L’auteur avance ainsi plusieurs exemples de monastères ayant ralenti ou arrêté leurs activités lucratives parce que ces dernières n’étaient plus en adéquation avec les besoins de la communauté et de ses membres – qui, par exemple, souhaitaient travailler moins car ils vieillissaient. Plus largement, le monastère apparaît comme l’antidote à tous les maux que l’auteur voit dans notre époque : il est sobre et préoccupé de son environnement au contraire de nos économies extractivistes, il est ouvert et refuse toute discrimination à l’inverse de sociétés européennes qui se fermeraient de plus en plus, il est démocratique au contraire de nos sociétés qui ne le seraient plus que de noms, etc. On ne saurait résumer tous les aspects abordés, et on invitera le lecteur intéressé à parcourir ce livre : si on peut ne pas en partager les partis pris politiques ou idéologiques, il ne fait nul doute que sa lecture est instructive, en particulier à celui qui ignorait tout du monachisme chrétien, de son histoire et de son état actuel.

La principale objection qui vient à l’esprit, et que l’auteur mentionne avec honnêteté, est l’existenc...