
Une statue marmoréenne hélitreuillée au-dessus de la canopée, soudainement rattrapée par la gravité, s’échoue dans la jungle guyanaise. Le gag est à l’image de La Loi de la jungle, deuxième long-métrage d’Antonin Peretjatko dont le cinéma gagne en richesse, formelle comme matérielle, ce qu’il perd en spontanéité : sous la drôlerie évidente et légère se cache, de manière moins immédiate et plus inattendue, un imaginaire qui s’explore en bonne compagnie.
Une esthétique du dérèglement
Comme souvent au cinéma, le salut créateur vient du dérèglement : le film se laisse peu à peu coloniser par ce paysage de jungle qui amène avec lui un tout autre écosystème et son lot de promesses, de fantasmes. Espace de perdition, lieu de la décadence, la jungle absorbe Châtaigne et sa guide Tarzan, la stagiaire des eaux et forêts (l’ «ouragan » Vimala Pons). Imperceptiblement, les corps et les démarches mutent et on sent venir, au-delà des normes comiques et filmiques, le retour en grâce des pulsions, de vie, de mort, toutes confondues.
Si la génération what de Peretjatko est coincée à l’âge du stage et du désenchantement, La Loi de la jungle lui donne, pour un temps, la clé des champs.
Tous les fluides et liquides – pus, cerveau, yaourt, transpiration – sont de la partie, marquant la nécessité d’oublier pour un temps la froide métropole qui juste au bout résiste : dans une séquence d’anthologie, la rédaction d’un rapport administratif se transformera en d’intenses préliminaires. C’est cet érotisme insoupçonné qui finit par tout emporter, Pons et Macaigne formant un corps burlesque et sexuel parfaitement adapté à la moiteur de la jungle et autour duquel se resserre, petit à petit, la structure foisonnante du récit. En de longs plans lascifs, la caméra rougissante se relâche et dérive avec eux entre les courbes du fleuve tropical : la fin de leur périple, qui fut rythmé par de loufoques ordalies et des rencontres en tout genre, ressemble à une fuite en avant paresseuse et apaisée. « L’amour est un voyage » tape Châtaigne sur sa machine de travail. Si la génération what de Peretjatko est coincée à l’âge du stage et du désenchantement, La Loi de la jungle lui donne, pour un temps, la clé des champs.
- La Loi de la jungle, Antonin Peretjako, sortie le 15 juin 2016.