Chez lui sur La Croisette, Woody Allen est venu 13 fois au Festival de Cannes et ajoute une 14e Sélection Officielle à son impressionnant palmarès avec Café Society. Un palmarès toutefois symbolique, comme il est bien connu que le réalisateur aux Wayfarer a la compétition en horreur. Une chose est sûre, son dernier film offre un aller simple vers un Hollywood révolu, romantique et dépaysant à souhait.
Dissimulant un caractère délicieusement tourmenté derrière ses grandes lunettes, c’est à travers le cinéma qu’il exprime ses névroses, grâce à un humour cathartique dont se délecte son public depuis Quoi de neuf, Pussycat?, il y a un demi-siècle. « C’est comme des vacances », a-t-il confié à nos confrères de France Info, en évoquant cette nouvelle venue cannoise, en ouverture de la 69e édition. Venu au septième art par le stand-up et à la réalisation par l’écriture scénaristique, Woody Allen est auteur de ses films, au sens noble du terme. Une approche très européenne du cinéma, qui lui a valu le désaveu d’Hollywood et l’indéfectible soutien du public de woodyphiles qu’on trouve de ce côté de l’Atlantique. Pour autant, les puristes s’accordent à déplorer un certain déclin dans les œuvres les plus récentes du maestro de la réplique bien sentie, dont la présence à l’écran fait cruellement défaut depuis qu’il préfère se cantonner aux coulisses. Whatever Works (2009), Minuit à Paris (2011), L’homme irrationnel (2015) : Des films que d’aucuns trouvent désincarnés, en raison de tentatives d’imitation du style allenien qui ne sont finalement que des esquisses de la quintessence de ses œuvres de jeunesse.
Woody, conteur de fable hollywoodienne
Sans revenir dans le champ – qu’il avait magistralement quitté dans le crash de la Smart de Scoop, pied au plancher – Woody Allen parvient à réinvestir son film de la plus belle des façons, par la narration. Il guide ainsi, en voix-off, le spectateur au fil de son intrigue, à l’instar de la jolie Vonnie (Kristen Stewart), qui fait le star tour des demeures des vedettes de Beverly Hills à un Bobby (Jesse Eisenberg) subjugué. La fameuse société qui donne son titre au long métrage est celle de l’époque bénie des grands studios bâtisseurs du mythe hollywoodien. Un Eldorado du cinéma en ébullition, qui s’appelait encore Hollywoodland en ce début d’années 1930.
Café Society ou la fresque crépusculaire d’un Hollywood proustien, qu’on dévore des yeux.
Résolument new-yorkais, Woody Allen porte pourtant un regard plein de tendresse sur cet Hollywood naissant, où les grands noms des acteurs d’un âge or, aujourd’hui bien lointain, se côtoient dans des dialogues plus posés qu’à l’accoutumée. Exit les longs monologues de personnages gesticulant en s’interrogeant sur la philosophie de l’existence, qui font tout le sel de ses œuvres les plus emblématiques, Annie Hall et Manhattan en tête. Plus resserrés, les dialogues n’en demeurent pas moins efficaces. Dans une dynamique qu’un nabab hollywoodien aurait pu qualifier de ‘less is more’, le réalisateur va à l’essentiel. Musique jazzy, jeux de volets transitoires et de fondus pour passer d’une séquence à une autre et la caméra très mobile donnent du rythme au film, de sorte que l’histoire déroule son fil avec une fluidité des plus appréciables.
Esthétisme léché
Tandis qu’il n’était pas rare, dans nombre de films de Woody Allen, de déceler un faux-raccord ou une perche dans le cadre, Café Society revêt tout le glamour léché qui incombe à son sujet. Costumes bien coupés, intérieurs soignés et cadrages en plongée et contre-plongée restituent le faste de l’ère du parlant. Ère de tous les possibles, avec le soupçon de désillusion qu’on aime trouver chez Woody Allen. Dosant avec justesse les moments de légèreté et les passages propices à susciter une intense émotion, Woody Allen dote Café Society des meilleurs atouts qu’on pouvait attendre d’un film sur une période que l’octogénaire est lui-même trop jeune pour avoir connu, mais vis-à-vis de laquelle il exprime une touchante nostalgie. Baigné d’une splendide mise en lumière qu’on doit au directeur de la photo Vittorio Storaro (Apocalypse Now), le Los Angeles qui sert de décor irradie l’écran dans un soleil couchant éternel. Fresque crépusculaire d’un Hollywood proustien, qu’on dévore des yeux.
Quoi de mieux pour accompagner son Café Society qu’une madeleine de Proust ?
- Café Society de Woody Allen, avec Kristen Stewart, Jesse Eisenberg, Blake Lively, Steve Carell, actuellement en salles.