La Politesse, le nouveau roman de François Bégaudeau, décrit l’ennui du milieu littéraire dans lequel gravite un auteur sans succès. L’auteur de Jouer juste ironise sur les mécanismes de la promotion littéraire qu’il ne connaît que trop bien. Il prend le parti de rire des vicissitudes de ce genre de tournée plutôt que d’en pleurer.
« Je vais me lire tiens, personne ne le fera à ma place » se dit le narrateur de La Politesse, qui décrit la vie ennuyeuse d’un écrivain sans succès, perdu dans un tour de France pour faire la promotion de son dernier roman. L’auteur passe son temps dans les TGV et les taxis, pour honorer de sa présence des gymnases de province, des librairies vides, et des salles de classe aux élèves indifférents à la matière littéraire.
Ce romancier erre comme un fantôme devant quelques poignées de lecteurs qui n’ont d’yeux que pour David Foenkinos et Lorànt Deustch. Il discute bien avec quelques personnes, des auteurs, des journalistes dans des studios radio, mais rarement pour parler de son livre. François Bégaudeau peint avec dérision l’errance de la promotion littéraire et décrit avec ironie les différents milieux qu’il traverse et notamment les médias, « Par rigueur journalistique, elle rapporte fidèlement les faits rapportés par Wikipédia ». Mais aussi les politiques, au détour de quelques phrases acerbes : « Dix mètres au-dessus, des sexagénaires légifèrent ».
Des phrases qui claquent
L’intérêt de ce roman ne réside pas dans l’intrigue, presque inexistante, mais dans l’ironie de la langue du narrateur. François Bégaudeau y montre un goût prononcé pour la périphrase, dont certaines font mouche et atteignent leur cible.
Par exemple, pour décrire le XVIe arrondissement, il affirme : « Sur la carte de la ville nous sommes dans la partie qu’un système performant de tarification réserve aux riches ». L’auteur de Deux singes ou ma vie politique, réussit à faire rire avec de l’humour de gauche. Dire que nous sommes dans un quartier riche ou bourgeois n’aurait aucun effet mais faire intervenir la notion de performance dans la ségrégation de l’espace est original tout comme le ton pédagogique avec lequel il explique la domination d’une classe sur une autre.
La réussite littéraire de ce roman repose sur la capacité de son auteur « à faire tourner » la langue (c’est ainsi que le narrateur définit le rôle de l’écrivain) pour en faire jaillir du sens. Un vigile devient « un agent de sécurité de la diversité africaine ». Une manière de dénoncer le “politiquement correct” et les éléments de langage qui se sont progressivement installés dans tout type de discours. A travers ce roman, Bégaudeau se réapproprie la langue afin de la tordre.
François Bégaudeau réussit à faire rire avec de l’humour de gauche
Frottements de mots
Par ces quelques saillies, Politesse présente les aspects d’un roman social, mais sans la gravité souvent inhérente à ce genre de texte. Sur un ton presque badin, il relève l’absurdité d’un système nécrosé. Le rire fonctionne mieux que l’indignation. Le narrateur s’attarde sur les emplois inutiles qu’il rencontre dans sa tournée : « l’assistante remplit son rôle rémunéré de faire la conversation ». La comédie de l’entreprise se joue dans la première moitié du roman.
Le seconde relève moins de la critique sociale ironique que de l’expérimentation politique. Un monde utopique est dessiné par le narrateur, à travers un village alternatif, où la loi du marché a été abolie, et où la production est uniquement calculée selon les besoins des habitants. Le règne du troc a remplacé celui du capital, et la solitude de l’écrivain qui essaye de vendre son livre s’est transformée en expérience littéraire participative. « Ils vont produire de l’intelligence par frottements de mots ».
- La Politesse, François Bégaudeau, Verticales, 293 pages, mars 2015.
Alexandre Poussart