Avec son exposition Bagarre, dauphins et purgatoire à la Galerie Valérie Delaunay à Paris, le jeune peintre remarqué en 2023 avec son énorme retable en or rejoue l’Apocalypse à sa sauce, en mêlant aux troubles de l’époque ses obsessions pour l’art sacré.

Fiat lux, 2025, Acrylique sur toile, 150x90cm

Parfois, il prend à Thibaut Huchard comme un sentiment d’étrangeté. Comme le 7 janvier dernier quand, ouvrant sa télé, le trentenaire découvre les images cataclysmiques des incendies dévorant Hollywood et Los Angeles. Le jeune artiste vient justement de finir « Fiat Lux », une toile sombre d’1m50 sur 90 cm aux perspectives sinueuses et inquiétantes sur laquelle se trouvent une centrale nucléaire à sept cheminées et, à l’horizon, une Amérique qui prend feu. Même bizarrerie qu’en 2019, le 15 avril avec le feu de Notre-Dame. Le peintre venait alors de mettre les dernières retouches à une toile illustrant une église ravagée par les flammes. « Certes, je n’avais pas peint Notre-Dame, mais ça m’a fait tout drôle, je dois dire ». 

Les églises en feu, les villes dévastées, et le bestiaire hiératique du peintre sont à retrouver jusqu’au 1er mars à la Galerie de Valérie Delaunay à Paris dans le cadre de son exposition personnelle « Bagarre Dauphins et purgatoire », du nom de sa pièce maîtresse. Une immense toile de près de trois mètres de haut à la composition grouillante, et aux lignes de fuites chaotiques, avec au centre un cortège d’au moins 200 femmes manifestant aux flambeaux et en lutte contre des CRS, au premier plan une cavalcade moyenâgeuse avec chiens et loups lancés à la poursuite de pauvres cerfs, un fourgon de police, un embouteillage de voitures, des anges qui prient à genou, le procès d’un cochon. 

Bagarre Dauphins Purgatoire, 2025, Acrylique sur toile, 265x190cm

Ailleurs, c’est un bateau de féministes abordé par des ours, des migrants qui tentent de traverser un fleuve, deux châteaux-forts, des démons qui ripaillent ou torturent, des scènes d’émeutes urbaines, un tigre et même des dauphins armés de kalachnikov. Impossible de tout décrire tant tout y est monstre. 

Sans surprise, les spectateurs y verront le reflet d’un monde au bord de l’abîme. « Logique », selon Huchard. « Les gens voient l’apocalypse derrière l’accumulation de signes. »

L’époque offre, il faut dire, matière à penser. Entre « l’apocalypse heureuse » qui semble promise par Donald Trump, les images de désolation, de Gaza, en provenance d’Ukraine ou de Los Angeles, les crises sociales et écologiques, l’apocalypse hante littéralement ce début d’année. 

La programmation artistique en témoigne. Le 1er février, la Bibliothèque nationale de France (BNF) a ouvert un cycle sur « l’Apocalypse. Hier et demain », avec une dizaine de conférences et une grande exposition réunissant 300 pièces inédites, comme des fragments de la tenture de l’Apocalypse d’Angers. Une tapisserie du XIVe siècle de plus de 100 mètres de long à laquelle Huchard renvoie explicitement dans ses toiles. 

L’iconographie circule dans les deux sens. Irrévocablement on pense à toutes les représentations de fin du monde renouvelée sans cesse en Occident depuis le Ier siècle et L’Apocalypse selon Saint-Jean ; de Jérome Bosch à Cranach en passant par Dürer, les romantiques comme William Blake et jusqu’à Guillaume Bresson pour les contemporains. La figure de proue de la nouvelle peinture figurative est d’ailleurs mise à l’honneur en ce moment par le Château de Versailles qui expose ses grandes scènes hyper-réalistes de violences urbaines. 

En ce qui concerne ses inspirations, Huchard lui, fait « dans le très vieux » et le revendique. Il s’en réfère à ses peintres fétiches :  le Français Jean Fouquet dont la miniature de « Saint-François recevant les stigmates » du Christ est l’une des plus vieilles oeuvres conservées de l’artiste du XVe siècle. Thibaut puise aussi auprès des primitifs italiens et flamands comme Paolo Uccello, ou plus tardivement Brueghel et les frères Van Eyck à qui il a repris l’idée d’une peinture déclinée sous le format du retable. 

« Avant la Renaissance, la perspective était au service de la narration. On pouvait la tordre dans tous les sens, et ça donnait à l’artiste la liberté pour plus de fantaisie ».  

La technique lui permet de superposer un nombre incalculable de scènes sans avoir à respecter les échelles de grandeur naturelle. Un personnage au premier plan prend parfois autant de place que celui au troisième ou au quatrième. L’œil est ainsi happé partout créant un indiscutable chaos sans point de fuite où s’échapper.  

C’est cette façon qu’il a de « se jouer des perspectives» qui a plu tout de suite à la galeriste Valérie Delaunay qui a découvert l’artiste en 2024. Sa manière « érudite » aussi de convoquer les références à l’art sacré l’a séduite.  

Dans le petit format « Robin du Hood », sélectionné par la galeriste, le peintre rejoue le motif de Saint-François recevant les stigmates avec, à la place du religieux ce qu’on s’imagine être « un jeune de banlieue ». Et en guise de Jésus, un drone. 

« Thibaut a sa façon bien à lui de parler des thématiques sociétales, avec un sourire narquois. », analyse Valérie Delaunay. Exemple avec « La rouetourne », autre petit format où un bonhomme en chasuble de la CGT regarde deux témoins récupérer la tête d’un chevalier jaune gisant sur un rond-point. Clin d’oeil évident au mouvement social des gilets jaunes et à un démembrement opéré par la répression policière. 

La Roue tourne, 2023, 15x20cm, Tempera sur bois

Les couleurs pétaradantes, le trait naïf et le ridicule des personnages font sourire au premier regard. « À l’évidence, dans sa peinture il se cache quelque chose d’infiniment plus chargé et plus lourd » nuance Valérie Delaunay qui évoque le vertige ailleurs de « ces autoroutes sans fin » oude « paysages de centrales nucléaires. » 

Avant de trouver son harmonie, le jeune peintre a pourtant longuement tâto...