Paru en janvier dernier aux éditions Rivages, Le Ciel de Tokyo, d’Émilie Desvaux, n’a rien d’une carte postale. Ce troisième roman s’affranchit des codes du récit initiatique pour conduire ses personnages, venus des quatre coins du monde, dans une pension décrépite de la capitale japonaise, le temps d’une errance douce-amère, tout en poésie.

La Gaijin House – littéralement « maison pour les étrangers » –, est une pension nichée dans une ruelle de Tokyo. Elle est un lieu de passage poisseux, où flottent les odeurs de tabac et d’oubli, où rampent les insectes et les secrets des pensionnaires. Elle est le décor inattendu du Ciel de Tokyo. Le roman s’amorce avec l’arrivée à la Gaijin House de Camille, mariée française en fuite, venue trouver ce lieu d’exil pour elle ne sait combien de temps. Et la pension est un point de chute pour de nombreux solitaires comme elle : Camille y fait la connaissance des autres pensionnaires, parmi lesquels Flavio, brésilien érudit et mélancolique et Lénine, arrivé de Belgique, jeune bellâtre caustique qui vit de ses activités de gigolo auprès de riches veuves tokyoïtes. Dans cette curieuse auberge espagnole, chacun est venu disparaître momentanément, s’oublier ou se faire oublier. Une curieuse connivence s’impose ainsi au sein du groupe, diffusant alors des parfums d’amitié, de romance, de complicité dans la solitude. Le ciel tokyoïte, pour Émilie Desvaux, n’est point brodé de fleurs de cerisiers et de parfums d’ailleurs. Il est tantôt clair, tantôt brumeux, changeant comme les personnages dont les émotions construisent le roman.

“Émilie Desvaux construit une flânerie tokyoïte […] dont le décor a priori sordide se pare d’un charme surprenant, celui de révéler la grâce de l’immobilité au travers de protagonistes aussi beaux que touchants.”

Habiter l’entre-deux

On pourrait aisément s’imaginer qu’un voyage à l’autre bout du monde, au lendemain d’un drame personnel, prendrait des airs d’...