Le texte Le cœur quand il explose se déploie en un souffle ininterrompu, mêlant absence, révolte et mémoire, poussées jusqu’à l’effondrement par une syntaxe éclatée. Les phrases, sous pulsion poétique, prolongent un élan désespéré, chaque mot cherchant à retenir ce qui glisse pourtant inévitablement vers l’oubli. L’écriture refuse la ponctuation forte, évacue les arrêts, construisant une langue qui ne respire plus, qui court en avant pour ne pas sombrer.

Le cœur quand il explose de Claire Griois est en effet un long cri d’amour et de révolte, une lettre jetée dans l’urgence depuis Skopelos, en Grèce : la narratrice tente de survivre à une absence qui l’engloutit, celui de l’être aimé tué dans des manifestations. Porté par une syntaxe haletante et une phrase qui refuse la ponctuation forte, le texte oscille entre le deuil d’un amour perdu et la violence d’un monde en lutte. Le souvenir d’un être aimé, insaisissable et fiévreux, se superpose aux images de manifestations, de corps brisés par la répression, de nuits de musique et d’errance en Grèce. La narratrice marche sans fin, cherche une chapelle sous la pluie, fuit et revient, hantée par la mémoire d’un visage qui se brouille. Entre colère et vertige, entre explosion et silence, le texte capture l’urgence d’aimer, de hurler, de ne pas disparaître. 

La phrase interminable de l’absence

La phrase ne s’interrompt jamais, comme si s’arrêter revenait à céder au vide. Cette continuité impose une tension permanente, où le lecteur est pris dans une course sans fin. L’écriture traduit ici l’impossibilité de fixer ce qui échappe : « Le manque, c’est comme une photo ; c’est quand il reste quelque chose qu’on ne peut pas palper, c’est l’absence de la voix, et même quand on regarde les vidéos, on ne peut plus savoir, on ne peut plus sentir qui est à côté de soi. »

Porté par une syntaxe haletante, le texte oscille entre le deuil d’un amour perdu et la violence d’un monde en lutte.

Le manque ne laisse que des traces déformées, des images statiques incapables de contenir ce qui a été perdu. La mémoire elle-même vacille, se fragmente, se contredit. L’oubli est en marche et le texte lutte contre cette disparition annoncée. « Je voudrais te parler de toi, pour que tu ne t’oublies pas, enfermé dans le silence. » Cette lutte contre l’oubli semble s’adresser à nous également du fait de l’ancrage politique de l’œuvre : les souvenirs se confondent avec les manifestations, les corps amoureux avec ceux qui tombent sous les coups.

L’errance et l’éclatement du temps

Le récit refuse une chronologie linéaire. Le présent est envahi par le passé, le futur est déjà en ruine. Les lieux du pays grec mentionnés sont finalement remplacés par une géographie intime, celle des souvenirs qui se substituent au réel immédiat «Ici, à Skopelos, au pied des oliviers, c’est ton salon que je vois, c’est ton salon, et – merde ! il y a beaucoup trop de meubles.» Le salon, lieu de l’intimité et du quotidien, se projette sur un paysage grec où tout est trop vaste : l’ailleurs n’éloigne pas, il ramène sans cesse au même point : celui de la perte, inchangeable et pérenne.

La marche devient alors un motif central, non comme un déplacement vers une résolution, mais comme un mouvement qui ne sait plus où aller. « Je ne fais que marcher, complètement à l’aveugle, je ne peux plus m’asseoir. » Le corps est pris dans une fuite qui n’aboutit jamais, ne peut ni s’ancrer ni fuir complètement car la route est un espace vide, une ligne qui ne mène qu’à elle-même.

Les corps broyés par la répression et ceux qui se délitent dans l’absence subissent une même brutalité, une même dépossession.

(é)cri(t) contre la violence politique

L’écriture ne s’arrête pas à la douleur intime, elles’ouvre sur un monde détruit par l’injustice et la répression qui s’abattent avec la même brutalité que la perte. La sidération du deuil devient celle du politique : «Ils nous font croire qu’on a le droit de s’aimer, les droits des hommes, tu sais, et puis ils nous séparent, à grands coups de matraques, à tirs de LBD, à – paf ! paf ! paf ! les grenades.»

Les explosions rythment le ...