Avec Le fou de Dieu au bout du monde (Actes Sud, 3 septembre 2025), Javier Cercas abandonne les enquêtes policières de sa trilogie Terra Alta pour suivre le pape en Mongolie. En tête, une question simple : est-ce que sa mère, à sa mort, retrouvera son père dans l’au-delà ? Entre chronique, enquête et confession, le texte de l’auteur des Soldats de Salamine s’essaie à une forme nouvelle, au risque d’épuiser son lecteur.

Quel écrivain refuserait une invitation du pape ? Fils d’une famille catholique espagnole, Cercas n’est en tout cas pas de ceux-là. Bien que devenu athée à l’adolescence, lorsqu’il est entré en littérature, l’auteur ne peut pas résister aux sirènes vaticanes, d’autant qu’on lui promet une liberté d’écriture totale. Mais entre la question qui le taraude – ses parents seront-ils réunis après la mort ? –, le récit de voyage qu’il envisage et le portrait d’un pontificat qui fut tout, à l’en croire, sauf ordinaire, les ambitions sont nombreuses. S’y ajoute encore, au risque de l’hagiographie, cette obsession croissante pour Jorge Mario Bergoglio – le vrai nom du pape. De droite ou de gauche ? Hypocrite ou vertueux ?

On n’imagine pas la littérature sans ego. Il arrive pourtant qu’il lui fasse obstacle. « Non, mais attendez, vous ne savez pas que je suis quelqu’un de dangereux ! » annonce d’emblée Cercas à l’envoyé du Vatican. Le « fou sans dieu », donc, face au « fou de dieu », ce pape François, nommé comme le saint éponyme dont il posséderait toutes les vertus. Mais le souffle de ce qui se voudrait presque un thriller s’épuise vite, sous la masse d’entretiens et d’autocitations. Et si le voyage en Mongolie offre un portrait de missionnaires aussi sympathiques qu’effrayants dans leur dévouement, si l’humour parfois transparaît, l’omniprésence de Cercas gâche les envolées fiévreuses par la répétition obsessive du « je ».

« […] je décidai que, si j’écrivais le livre sur le pape, je serais obligé d’écrire un livre différent, le plus extravagant qui soit, un mélange de chronique, d’essai, de biographie et d’autobiographie, une expérimentation bizarre, un bric-à-brac, si possible un festin regorgeant de plats, une folie solidaire avec la démence du fou de Dieu, une expérience joyeuse et complètement dingue, un méli-mélo de genres au cœur duquel étincellerait, pareille à des morceaux de lave brûlants dans un cratère en activité, la résurrection de la chair et la vie éternelle. »

Malgré l’auteur et la bonne volonté de son lecteur – si fidèle soit-il –, l’ambition semble ici démesurée. Car la méthode Cercas – cette écriture qui décrit le livre encore en gestation – réemploie une mécanique peu adaptée aux entretiens qui s’y succèdent. Pour pallier l’absence de progression réelle du récit, la moindre découverte est magnifiée, discutée, commentée. Rien ici ne saurait être banal : tout est superlatif, toute figure devient un Don Quichotte en puissance.

François mon amour

La femme du narrateur l’avait pourtant prévenu : « ne deviens pas un soldat de François ». Mais ce pape « argentin, mais modeste » a tout pour le fasciner. On le découvre au cours d’une introduction (120 pages tout de même) ponctuée d’interrogations sans suspens : l’auteur va-t-il é...