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Loin du remake oriental de Peter Pan auquel son titre pourrait faire penser, Le Jour où j’ai perdu mon ombre met en lumière le quotidien des survivants d’une guerre qui n’en finit pas de détruire les villes et les âmes. N’ayant plus le recul nécessaire pour exercer son métier de documentariste, Soudade Kaadan s’éloigne de la réalité pour mieux la montrer, en réalisant son premier long métrage de fiction. Un film de femme en forme de road movie lunaire, produit par sa sœur. En dépit de maladresses formelles, la beauté de son propos justifie la place de ce drame syrien en compétition du 40e Cinemed.

Dans les salles du Cinemed règne toujours une joyeuse atmosphère à la diffusion de l’avant film officiel, rythmé par les acclamations et le « Olé ! » général du public. Derrière cette décontraction, la manifestation dédiée au cinéma méditerranéen est le porte-voix des cinéastes qui s’engagent à travers leur art, pour lesquels les festivals sont le dernier rempart contre la barbarie. « Je n’ai pas cherché à concentrer sept ans de guerre dans un film. J’ai voulu montrer le côté humain », a expliqué Soudade Kaadan en conférence de presse. Sept années de développement pour un projet initié en 2011, époque au sujet de laquelle la réalisatrice confie : « J’étais loin de me douter qu’à la sortie du film la situation politique de la Syrie resterait inchangée et aurait même empiré ».

Fable aux accents documentaires

Le cadre du récit est celui d’un quotidien auquel il est impossible de s’habituer. Kaadan joue sur ce paradoxe en imaginant une héroïne ordinaire, issue de la classe moyenne syrienne, séparée de son fils à la suite d’un checkpoint qui tourne mal. Commence alors un voyage introspectif en territoire rural, aux côtés d’un duo fraternel rebelle qui représente le versant engagé du conflit. Des figures semblables à celles que l’ancienne documentariste a suivi dans ses films précédents et à qui elle glisse un clin d’œil à travers le personnage du cameraman clandestin. Plus que le discours politique, c’est le lyrisme visuel qui prime.

Soudade Kaadan emprunte les codes de la fable pour amener le spectateur à adhérer au climax du film : un désespoir tel qu’il détache les ombres de leurs propriétaires. « On peut projeter ce qu’on veut dans cette métaphore », indique la cinéaste, précisant : « On voit d’ailleurs le garçon contempler son ombre, pour signifier que, parfois pendant les guerres, les enfants sont plus adultes que les adultes eux-mêmes ».

Tournage à la frontière libano-syrienne

La volonté de la cinéaste est de retranscrire sa vision du pays qu’elle a fui. Témoignage d’autant plus puissant qu’il est porté par des acteurs ayant l’asile politique, ainsi que des acteurs non-professionnels réfugiés du camp de Chatila, à l’instar du garçon qui incarne le fils de Sana et qui bénéficie aujourd’hui de l’asile de la Suède avec sa famille. « L’actrice principale a reçu son visa deux jours avant le début du tournage », observe Soudade Kaadan, en évoquant les obstacles d’une réalisation aussi mouvementée que le parcours des protagonistes. Reconstitué au Liban avec peu de moyens, le Damas hivernal qui sert de décor au film ne permet pas d’éviter l’aspect redondant de séquences alourdies par des longueurs. La progression de l’histoire, elle-même sans grand relief, en pâtit et il est difficile de ne pas sentir les artifices de mise en scène.

Gageons que la réalisatrice débutante apportera davantage de rythme à ses prochains scénarios, pour que l’argument politique ne demeure pas l’unique atout véritable du film. On sait pourtant qu’un film s’analyse également à travers sa dimension hors-champ et c’est particulièrement vrai au registre du film de guerre contemporain. Kaadan relate : « La comédienne syrienne qui devait jouer Reem a dû être remplacée car, trop désabusée par le conflit, elle ne parvenait plus à sourire ». Ces sourires contestataires sont les bribes de magie qui nous auront davantage touchés que la métaphore des ombres, somme toute assez obscure. Pari à demi-remporté donc pour ce drame qui propose, un peu maladroitement, une relecture fictionnelle d’une situation malheureusement encore bien réelle.

  • Le Jour où j’ai perdu mon ombre, de Soudade Kaadan, avec Sawsan Arshid, Reham Al Kassar et Samer Ismael. Sortie prévue au premier trimestre 2019. En compétition.