Peut-on encore écrire une comédie romantique, parisienne qui plus est, qui ne soit pas mille fois vue et revue ? Avec Le Processus de paix, Ilan Klipper relève magistralement le pari, en signant une comédie douce-amère qui remonte aux fondements même de l’institution du couple, qu’elle examine avec humilité.
« C’est plus possible qu’on se parle comme ça. » Marie et Simon (Camille Chamoux et Damien Bonnard), jeunes parents parisiens, filent l’imparfait amour. Ils s’aiment, mais ils ne peuvent pas se supporter. Les scènes de bonheur familial alternent avec les disputes. Tout peut les déclencher : la vaisselle oubliée, une porte de placard laissée ouverte, un retard, une réflexion, une intonation même. Pris dans leur quotidien tourbillonnant, effarés par la perspective de devenir de mauvais parents, les deux amoureux n’en finissent plus de se réconcilier, de se promettre de faire des efforts avant de se déchirer à nouveau. Jusqu’au jour où Simon, inspiré par son métier de professeur d’histoire, propose une solution radicale : l’établissement d’une Charte universelle des droits du couple, qui doit régler pour de bon le différend conjugal.
Les histoires d’amour
Le Processus de paix est une comédie construite comme un drame. Le genre de la romance à la française nous a habitués au rythme saccadé de la succession de sketchs. Le film d’Ilan Klipper, au contraire, développe ses scènes et nous fait ressentir la temporalité du couple, l’évolution de la dispute, ses pauses et ses modulations. Aucun recours non plus aux clichés habituels de la comédie parisienne : pas de scène chez le psy (on l’attendait pourtant), pas de bandes de potes bien genrées (bière et foot d’un côté, shopping et potins de l’autre), même pas l’inévitable chapelet sur le divorce et la garde des enfants (ce n’est pas le sujet). Le réalisateur développe avec subtilité des personnages justes, uniques dans leur banalité. Le film les écoute et les laisse parler, ne prend pas pour acquis ce qu’ils pensent, qui ils sont, ce qu’ils vont devenir. Comme dans un drame donc, il creuse progressivement la profondeur de ses personnages et étaye solidement sa trame, sans chercher à tout prix le rire.
Le Processus de paix se pose vraiment la question, celle qui est inscrite sur son affiche, celle que formulent régulièrement les personnages à l’écran : comment vivre en couple, comment survivre à la vie commune.
Le long métrage de Klipper n’est pas non plus un énième film sur la rupture, où les problèmes de couple finiraient par être surmontés par un deus ex camera. Le Processus de paix se pose vraiment la question, celle qui est inscrite sur son affiche, celle que formulent régulièrement les personnages à l’écran : comment vivre en couple, comment survivre à la vie commune. Il y a une ingénuité touchante dans l’ambition du film de reprendre le problème depuis la racine, comme si cela était encore possible. On sent bien là la patte de Camille Chamoux, qui cosigne le scénario et les dialogues, et dont le jeu sensible manœuvre toujours entre le cynisme dépité de la comédie et une sincérité bouleversante. Elle veut toujours croire au dialogue, elle pense toujours que tout est encore réparable, qu’en parlant plus on résoudra les problèmes. Ce faisant, elle confisque malgré elle la parole à Simon, qui voudrait bien arranger les choses aussi même si on le sent souvent dépassé, fuyant. Le personnage qu’elle incarne, Marie, est une animatrice de radio à la tête d’une émission sexo. L’occasion pour le film, bien sûr, de mêler à son propos les récents développements post Me Too, cette nouvelle révolution des mœurs qui n’a pas encore trouvé son nom mais qui est au cœur de notre époque. La collègue de Marie (Jeanne Balibar), cinquantenaire sans tabous qui couche avec le tout-venant, et la mère de Simon (Ariane Ascaride) qui rejette le puritanisme américain et loue l’union libre, fournissent deux modèles de la femme libérée dans ce nouveau marché de l’amour. Simon et Marie, dans ce contexte, en viennent à incarner au contraire une forme d’hétérosexualité monogame choisie : dans une société où le couple standard n’est plus majoritaire, être en couple devient un choix, le rester dépend d’un « pacte » qui n’a plus de rapport avec le mariage, mais tient d’un idéal rêvé entre les partenaires. De là l’idée de la charte : le couple est à reconstruire, ses règles à refonder. Il faudrait tout reprendre depuis le départ.
Un jour avec, un jour sans
Cette fameuse « Charte », telle qu’elle arrive (d’ailleurs tardivement) dans le film, n’est au fond pas si décisive – même si on admirera le jusqu’au-boutisme de l’affiche, qui a osé le parti pris littéral en reprenant une esthétique kitsch de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’idée de mêler le paradigme du couple à celui du droit fonctionne comme procédé de transposition. Il permet le filage d’une métaphore productive et qui fonctionne dans l’humour comme dans le drame, les deux facettes du long métrage. Le parallèle est établi directement par Simon, qui enseigne le conflit israélo-palestinien à l’université et peut donc faire l’application de la grande Histoire à sa propre histoire d’amour. Cette assimilation est pessimiste, évidemment : le processus de paix entre Israël et Palestine ne conduit en fait qu’à une succession de conflits entrecoupés de courtes accalmies, sans issue possible. La judéité de Simon, qui rattache son histoire personnelle à la grande Histoire qu’il enseigne, ajoute encore un niveau de lecture au film et participe du dialogue qu’il ne cesse d’entretenir entre le plan individuel et l’inscription dans une situation historique plus large. Le Processus de paix tire finalement une bonne part de sa force de frappe de son rapport ambigu avec l’humour, avec la joie en général. Tout au long du film, une angoisse sourde rôde, comme la possibilité du malheur au milieu des réjouissances. Le personnage de Simon traverse régulièrement des moments “dark”, comme les appelle Marie, qui ne porte jamais de jugement sur les humeurs noires de son mari. Au gré d’allusions pudiques à sa dépression (“Certains jours juste vivre c’est difficile”), on comprend les épreuves que le couple a traversées, traverse encore, sans qu’en rien cela influe sur le pacte qu’ils ont passé ensemble, indépendamment du mariage : rester ensemble, jusqu’au bout. Les références nombreuses à la Shoah, traitées sur le mode du décalage comique, participent de la tonalité douce-amère du film. La chanson Le Petit Train des Rita Mitsouko, interprétée par Simon au banjo et Marie au chant, dans le bonheur d’une matinée en famille, résume la tonalité de l’œuvre : à l’image de la chanson, qui raconte les trains de la mort sur fond de mélodie guillerette, le film oppose la gravité de son sujet à la drôlerie de son ton. Dans cette sorte de rire nerveux, Le Processus de paix, film hilarant et hypersensible, dit quelque chose de la nécessité de vivre malgré tout, en acceptant la joie sans nier le désespoir, l’un et l’autre présents à égale partie.
Le Processus de paix, un film de Ilan Klipper, avec Camille Chamoux et Damien Bonnard. En salles le 14 juin 2023.