Genre musical autant décrié qu’il est écouté, le rap est fréquemment comparé à la littérature et en particulier à la poésie, dans le cadre d’entreprises de légitimation comme de délégitimation. Il joue lui-même de ces parallèles dans ses textes où il convoque des œuvres, des auteurices, des citations littéraires… Mais quelle est vraiment sa position par rapport à la littérature, issue d’une culture bourgeoise à laquelle il s’oppose régulièrement ?

« Ma putain d’littérature de rue » : voilà comment ISHA qualifie le rap à la fin du morceau « Inna di Club » en feat avec Limsa d’Aulnay. Ce serait donc ça, le rap : une forme de littérature street, populaire, qui se déclame à l’oral en langage familier ou argotique ? 

Dans tous les types de rap les références littéraires foisonnent, de MC Solaar (« Le Dormeur du Val ne dort pas/Il est mort et son corps est rigide et froid » dans « La Concubine et l’hémoglobine, en référence au poème de Rimbaud) à Chilla (« des promesses de l’aube » en référence à Romain Gary dans « Tout gâcher »). Des dizaines de morceaux ou d’albums empruntent même explicitement leur titre à celui d’œuvres littéraires comme Columbine avec « Fleurs du mal » (Baudelaire) et « Bateau Ivre » (Rimbaud) ; Nekfeu avec « Le Horla » (Maupassant) ou « Risibles amours » (Kundera) …

Des rappeurs qui se revendiquent poètes

Beaucoup de rappeurs citent des auteurs classiques afin de se présenter eux-mêmes comme écrivains des temps modernes : Lorage proclame « Quand j’expire s’exprime Shakespeare » (dans « Capricorne »), Dooz Kawa « J’suis un Perrault atypique » (dans « Do ré mi »). D’autres rendent des hommages, comme Médine dans « Voltaire » qu’il ouvre par « C’est maître Victor Hugo qui disait qu’être contesté, c’est être constaté ». 

Plus que de la littérature, nombreux sont les rappeurs à se réclamer de la poésie elle-même : MC Solaar revendique faire de la « poésie urbaine » dans un entretien, Kery James affirme qu’« en ce siècle les rappeurs sont les héritiers des poètes » dans « À l’ombre du show business ». Difficile de ne pas voir de liens entre poésie et rap, qui mettent tous deux à l’honneur les jeux de mots, la prosodie, le rythme et les figures de style dans des textes souvent versifiés et organisés par des passages à la ligne. Mais ces points communs suffisent-ils pour assimiler les deux genres et définir le rap comme résurgence de la poésie ?

La rappeuse Casey déclare lors d’un entretien « le rap m’a permis ce que l’école ne m’a pas permis » : le droit de ne « pas être écrasée par la grande littérature ». Quant à Sofiane, il affirme dans « Lettre à un jeune rappeur » une différence entre rap et littérature en clamant : « si t’as plus à dire que les autres, écris un bouquin ». Son titre reprend les Lettres à un jeune poète de Rilke en remplaçant « poète » par « rappeur », soulignant la subtilité des liens qui unissent la poésie au rap. C’est une façon d’affirmer l’identité artistique propre de celui-ci tout en mettant en évidence l’influence de la poésie, et plus largement de la littérature.