Zone critique revient sur trois spectacles pouvant se faire écho en traitant par des procédés scéniques et des écritures très variées les non-dits au sein d’un couple, d’une famille. Comment ses paroles tues, avalées, qui ne franchissent pas les lèvres peuvent influencer une histoire ? Comment représenter au plateau les non-dits ?

Nos Histoires

La pièce est à mi-chemin entre une catharsis contemporaine et un électrochoc thérapeutique, à voir pour le bien commun.

Nos Histoires part tout d’abord de l’histoire de l’autrice et actrice Frédérique Auger, pour nous rappeler que l’emprise et la manipulation sont des sujets qui nous concernent tous.tes de près ou de loin, et que ce sont finalement aussi nos histoires.

Sur scène Frédérique Auger et Jean-Charles Chagachbanian incarnent les rôles de Vicky – une pétillante ostéopathe québécoise – et Maxime – un serveur maussade – leur rencontre, leur amitié et leurs peines. En creux de cette histoire heureuse et innocente se dessine les schémas de l’emprise affective et de la manipulation entre Vicky et son compagnon et entre Maxime et sa mère. Les comédien.ne.s jouent, avec une très grande justesse, les quatre rôles et sont tour à tour victime et bourreau.
Le procédé est minimaliste : 4 chaises, et deux objets scéniques : table d’auscultation/bar/lit… qui ne sont pas nécessaire à la mise en scène et encombrent le plateau. Cela peut parfois donner l’impression que la scénographie contraint les comédien.ne.s dans leur mouvement, et les empêche d’aller au bout de leur jeu. L’authenticité et le jeu très précis et coloré des acteur.ice.s suffisent à ce que l’on comprennent la situation sans avoir besoin de se raccrocher à des éléments scéniques.

Le texte est bien construit et ne tombe pas dans des écueils d’un pathos malvenu, le sujet est traité avec beaucoup de retenu. C’est comme si la pièce elle-même ne parvenait pas à dire les choses et prenait le temps nécessaire pour s’avouer la situation et poser les mots : je suis dans une relation toxique  qui va finir par m’éteindre. Nos histoires ne cherche pas à justifier ou accuser mais se sert du théâtre, lieu de partage et d’histoire, pour rendre visible et faire exister ces sujets d’emprise qui sont encore très tabous. Une scène cristallise l’enjeu de la pièce lorsque Vicky se retrouve forcée de se rendre chez le gynécologue pour que son compagnon comprenne pourquoi « est-ce qu’il ne la sent pas ? ». Après examen et des résultats qui garantissent que l’utérus de Vicky ne porte occupe pathologie et que tout est normal, elle s’adresse face public, et demande la voix brisée “Est-ce que vous pouvez lui dire ?”. La question nous saisit car elle nous invite à nous questionner, peut-être nous avouer, ou tout du moins à se dire que cette prise de conscience étant faite, nous sommes dorénavant obligé.e.s de ne plus nous taire.  La pièce est à mi-chemin entre une catharsis contemporaine et un électrochoc thérapeutique, à voir pour le bien commun.

  • Nos histoires du 7 au 29 juillet – 12h35 – Théâtre Le Cabestan
(c) Arny Berry

La poésie de L’échec

Les effets visuels créent une ambiance dynamique et dynamitent le rythme traditionnel du théâtre

Le non-dit est au cœur de la thématique de La poésie de l’échec : une famille bien sous tout rapport se retrouve pour l’anniversaire de la mère et la machine des faux-semblants semble bugger pour la première fois.

Sur le plateau : 3 comédien.ne.s et un beatboxer s’amusent avec les effets visuels et sonores pour créer une esthétique insolite au théâtre. Installé côté jardin, l’incroyable beatboxer (Julien Paplomatas) va accompagner tout au long de la pièce les comédien.ne.s d’effets sonores, qui, soutenus par les mouvements des acteur.ice.s ouvriront des parenthèses visuels à l’histoire. Par exemple, lorsque la mère (Marjolaine Minot) demande au fils (Florian Albin) comment se passent ses études, alors que celui-ci n’aspire qu’à arrêter, le dialogue est interrompu par l’image du jeune homme qui se noie depuis son canapé. Le beatboxer crée une ambiance sonore aquatique en live, ce qui transforme le glissement du comédien le long du canapé et renforce l’image. La scène est comme métamorphosée en un extrait de cartoon. Les effets visuels créent une ambiance dynamique et dynamitent le rythme traditionnel du théâtre. Nous sommes amené.e.s vers un ailleurs original et profondément créatif.
Les défauts des qualités sont que l’effet visuel très fort de la pièce ainsi que son comique à 1000 à l’heure piègent la poésie de l’échec dans cet esthétisme et rendent le virage vers une narration plus sincère et fragile difficile. Nous sommes néanmoins bluffé.e.s par l’innovation de la forme qui ouvre la porte à de nouveaux possibles artistiques.

  • La poésie de l’échec du 07 au 26 juillet – 15h – la 11 – Avignon
(c) Ariane Catton

A l’ouest

 Le collectif Bajour se montre expert dans la création d’un cocktail original et extrêmement bien dosé. L’histoire est cohérente et bien construite, sans « trop » et sans écart de ton.

A l’ouest est la dernière création du collectif Bajour, qui aborde ici encore la question du fonctionnement d’une famille. La troupe s’empare d’une thématique lourde, celle du deuil de proches – comment dire l’impensable et continuer de vivre ?

L’écriture collective et de plateau se reconnait souvent par une patte généreuse, des idées qui fusent, et une explosion de couleurs et de matières, parfois même jusqu’à saturation. Il n’en est rien ici, le collectif Bajour se montre expert dans la création d’un cocktail original et extrêmement bien dosé. L’histoire est cohérente et bien construite, sans « trop » et sans écart de ton.

L’histoire c’est celle de 3 frères et 2 soeurs, il y a peu orphelin.e.s, qui se retrouvent tous dans la maison familiale. Il.elle.s créent un microcosme empli de fraternité et de sororité et se serrent les coudes pour créer ensemble un sens à leur vie trop vide. S’ajoute à la famille le voisin qui cherche à s’intégrer à ce monde de chamaillerie qu’il envie profondément. Si les scènes collectives sont des grandes bouffées de vie et de fraîcheur, les cendres qui couvrent le plateau annoncent le drame. Le petit portrait familial au coin du feu sent le roussi. L’enfer, dit on, est pavée de bonnes intentions, et peu à peu l’amour inconditionnel qu’il.elle.s se portent, asphyxie le plateau. Jusqu’à ce que survienne le drame : un incendie où périssent deux d’entre eux.

La suite de la pièce devient une subtile construction entre des moments de passés et de présents, comme un pelle-mêle de souvenirs, de manques et de regrets. Les personnages sont sonnés face à ce dialogue rompu, où plus jamais ils ne pourront dire ce qu’ils avaient entrepris de formuler. Pourtant, sur scène, les figures des disparus hantent encore la maison, ce qui accentue pour nous le sentiment de loupé. Les cendres au sol sont comme le mal-être qu’on n’a pas osé dire, la déclaration qu’on n’a pas su faire, le gâchis des paroles non échangées. A l’ouest saisit la fugacité d’un moment et fige le besoin vital et nécessaire, que le vivre ensemble passe avant tout par la communication.

  • A l’ouest du 07 au 24 juillet – 11h20 – La Manufacture
(c) Lowen Photographie

Crédit photo : La poésie de l’échec – (c) Ariane Catton