Zone Critique revient aujourd’hui sur le dernier roman de Philipe Sollers, L’Ecole du Mystère. Plus à l’aise dans son époque qu’on ne pourrait le penser, l’auteur nous a maintenant habitué à ses sorties régulières, attendues à chaque fois au tournant aussi bien chez ses lecteurs que chez ses détracteurs. Sauf peut-être pour cette dernière livraison, comme en témoigne un certain mutisme de la critique à son égard. Bombe novatrice ou énième redite, que vaut cette rentrée des classes tardive ?
On ne parle plus de Sollers, ou plutôt on s’en désintéresse. On lui reproche avant tout un éternel ressassement (soit sous couvert d’une trame classique, soit sous la forme de saynètes, pas de juste milieu), ses sempiternelles références et, surtout, son auto-centrisme notoire. Alors oui, L’Ecole du Mystère ce n’est pas moins de vingt-six courts chapitres dans lesquels Sollers nous parle de femmes, d’écriture, de la Chine, des bouleversements sociétaux, d’inceste, de Proust, de Sade, de Duras (relire « L’hypnose Duras » sous l’éclairage de son nouveau roman vaut le coup) et….de Philipe Sollers. Bref, le lecteur déjà réticent peut d’ores et déjà s’arrêter ici, nous sommes bel et bien dans l’empire de Sollers. Personnellement, à part quelques similitudes avec les propos tenus dans Femmes (Sollers nous montre d’ailleurs qu’il y a pensé), je n’ai pas eu l’impression d’avoir navigué dans un précédent Sollers. Le lecteur bienveillant se prendra alors au jeu, aussi tordu soit-il, de l’auteur et de son école du mystère, et ce pour son plus grand bien car cette école n’est pas dénuée d’intérêt…
Maitresse acariâtre/Maitresse idéale : Des Fanny aux Manon.
Au centre du roman, deux figures féminines.
Deux femmes, deux écoles : Fanny « Mystère de l’amour : je l’aime, et elle aime me contredire à chaque instant […] C’est l’eau, la puissance de l’eau sur la pierre que je suis. », et Manon « petite salope sublime ». La première, produit scolaire parfait qui moralise, dénonce et s’attaque à l’écrivain pour ne pas avoir à penser sa propre déroute, la seconde, plus douce mais profondément incestueuse étudie à l’école du mystère, buissonnière et qui ne se fixe sur aucune ligne. Une école physique et une école métaphysique. « Les Fanny parlent du bien, en n’arrêtant pas de faire le mal. Manon est protégée du mal par le mal. », ces deux femmes ne sont que le reflet d’une dualité bien sentie chez Sollers, d’un côté un être insensible aux sentences de la mort, de l’autre des êtres perdus dans le jugement des vivants.
Et je me rends alors compte de la simplicité de ma comparaison de ce roman à Femmes, ce n’est pas ici une étude presque clinique d’archétypes féminins mais un miroir kaléidoscopique qui donne à voir la foule de nos semblables (rappelons-le, Fanny se décline évidemment au masculin, normalisation poussée) que nous offre l’écrivain. Nous sommes Fanny, nous connaissons tous une Fanny, Fanny est tout simplement notre contemporain.
Mais l’ouvrage ne s’arrête heureusement pas à cette simple question, Sollers nous donne aussi à voir la désagrégation progressive du « présent communicationnel », si notre siècle est caractérisé par l’énorme richesse des renseignements disponibles, tristement il n’y a plus personne pour s’en servir efficacement. C’est l’inceste heureux enseigné par l’école du mystère qui serait alors à même de reformer ces singularités perdues. Entre autres.
Beaucoup d’idées qui ne plairont pas à tout le monde, mais si bien écrites et énoncées avec l’ironie et l’humour mordant de Sollers qu’il est difficile de ne pas succomber à la plume sollersienne, encore pleine de vitalité.
Le cœur absolu de l’écriture
Cette satire cinglante, finement orchestrée en cercles concentriques qui se déplient, s’attaquent à des adversaires différents avant de revenir à l’adversaire premier, sans mauvaise foi et sans jamais s’éloigner de notre monde tel qu’il est, est encore une fois un bon exemple du génie poétique de Sollers.
Chacune de ces petites saynètes pourrait se voir l’objet d’une lecture individuelle, et pourtant ce serait dommage de briser ainsi les liens qui existent entre chaque développement. Non seulement je déconseille la pratique mais j’aimerais amener le lecteur à poursuivre ce lien avec les autres romans de Sollers. En effet la grande force de l’écrivain s’exprime dans la résonnance que ses œuvres entretiennent entre elles. Chaque nouveau roman est une étincelle qui en ravive un plus ancien, lui-même encore fumant de sa propre épiphanie. La langue de Sollers est volontairement brûlante et corrosive, elle ne s’arrête jamais, empêche toute cristallisation de l’image avant d’embras(s)er, au fil des textes, tous les chemins qui lui sont donnés à parcourir.
La langue de Sollers est volontairement brûlante et corrosive, elle ne s’arrête jamais, empêche toute cristallisation de l’image avant d’embras(s)er, au fil des textes, tous les chemins qui lui sont donnés à parcourir.
Mais pas d’inquiétude à se faire, si cette école ne compte que peu d’élèves, Sollers en donne les clés au lecteur acquis à cette même cause : « Etre somnambule très tôt, noter ses rêves, s’endormir n’importe où en trois minutes, être sourd quand il faut, mais rester attentif au moindre changement d’accent dans les mots. Etre familier de toutes les fenêtres et de toutes les portes. Garder son enfance au bout des doigts, surtout, mystère de la foi ».
Les lecteurs rebutés d’avance par l’écriture de Sollers n’y trouveront que la confirmation de leur dégout ; les autres, sensibles à la singularité sollersienne, trouveront leur bonheur tout en se demandant combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que Monsieur Sollers ne soit admis à l’Académie Française.
- L’École du Mystère, Philippe Sollers, Gallimard, 149 pages, janvier 2015.