À travers un voyage fantasmé entre le français et l’anglais, entre l’expérience de l’intime et de la modernité, Léon Pradeau nous invite à nous (re)connaître, en nous « promenant dans le symbole ». Tout à la fois tendre, mélancolique, et énigmatique, la voix poétique de Vaisseau instantané/instant shipping nous met au défi de l’accompagner en terre pas si inconnue, au contact d’une technologie empouvoirée par la mondialisation qui pose la question du siècle : que devient l’humain dans son monde de machines ?
Ouvrir Vaisseau instantané/instant shipping, c’est déjà un peu quitter la Terre, ou perdre pied, au choix. De la plus délicieuse des manières. Il y a d’abord ce double titre, témoin du frottement des langues, l’anglais et le français, qui aura cours tout au long du livre, et qui fait une part joliment oblique à la poésie. Ensuite, il y a l’épigraphe, tiré de l’excellent Crash de J. G. Ballard, roman dans lequel les corps et la tôle suppliciés s’entremêlent comme autant de car-casses. Et puis il y a cette adresse au lecteur, implacable, sibylline, troublante, qui fait de nous le complice de la voix poétique :
« l’écran te confirme
ton statut d’existence
soit que valide à son oeil soit que
reflet atteste tes variables:
tout est ok ici tu peux continuer
tranquillement à exister. »
Ouf. Nous voilà prêts à embarquer.
Space Oddity
Sur une soixantaine de pages, Léon Pradeau nous entraîne dans un voyage à la fois littéral et symbolique qui interroge notre rapport à un monde qui bat au rythme de la consommation. L’écriture y apparaît comme un des rares points d’ancrage, car étonnamment plus tangible, plus matérielle que le reste. Le livre, construit en miroir et pouvant se lire des deux côtés, est un objet qu’on manipule, qu’on retourne, qu’on s’approprie.
Le livre, construit en miroir et pouvant se lire des deux côtés, est un objet qu’on manipule, qu’on retourne, qu’on s’approprie.
Celui-ci semble s’élaborer au fur et à mesure de la lecture. Produit de son temps, celui de l’IA, des annonces automatisées sur haut-parleur, de la progression tentaculaire du franglais corporate, le livre fait la part belle à l’incompréhension sous toutes ses formes, et l’érige au rang d’expérience littéraire en faisant travailler un langage figé (souvent celui de la mondialisation) dont il appartient au lecteur de trouver le jeu. Les strophes déroulent l’histoire d’un voyage mécanique qui s’intéresse davantage aux sens au pluriel qu’au sens au singulier.
Le lecteur, voyageur solitaire s’il en est, rencontre un double de lui-même dans la voix poétique, sorte de Major Tom qui serait lost in translation dans un monde ultra connecté, extra-terrestre amoureux du symbolique. Petit à petit, ensemble, nous trébuchons, sur le sens puis sur les mots, faisant sauter les voyelles, bousculant la syntaxe, créant un chaos qui invite à l...