Après L’envers du monde, érigé sur les ruines encore tièdes des Tours jumelles de New-York, dans un pays déboussolé, c’est dans un Japon secoué et meurtri par le tsunami que Thomas Reverdy nous conduit, avec Les évaporés, son nouveau roman construit autour de thèmes récurrents qu’il manie d’une main de maître : la disparition, le deuil mais aussi la quête existentielle et l’amour.
« Je ne mettrai plus les chaussons ». Il n’avait trouvé que ça, n’avait pas su comment lui dire autrement qu’il ne rentrerait pas ».
Tel est le point de départ de l’ouvrage, la fuite d’un homme, Kazehiro, qui, une fois la nuit tombée, n’emporte avec lui que trois cartons, une valise et un nouveau statut : celui d’évaporé. Au Japon, lorsque quelqu’un disparaît, on dit seulement qu’il s’est évaporé. Le déshonneur est si grand que personne, au sein de la famille n’entreprend de recherche.
Surtout en cette période de chaos où le pays, ébranlé par le tremblement de terre, le tsunami, la centrale de Fukushima et la crise, a d’autres chats à fouetter.
C’est donc sur cet archipel en plein désordre et perte de repères que Thomas Reverdy plante le décor de son cinquième roman, remarqué dès sa sortie en cette rentrée 2013 et d’ores et déjà sélectionné pour différents prix littéraires.
L’histoire tient en quelques personnages centraux : Kazehiro le père, Yukiko sa fille, Richard Brautigan, son ex beau-fils mi-détective privé mi-poète, et enfin Akainu un gamin perdu de 14 ans. Chacun d’entre eux semble en fuite ou à la recherche d’un autre, amputé de lui-même ou d’un être cher. « Il faut trahir nos parents, pour grandir », estime Yukiko, après son exil volontaire en Amérique. Prête à tout pour retrouver son père, elle fait appel à son ex-petit ami Richard, à qui, un an auparavant, « elle avait brisé le cœur, le lui avait rendu en miettes ». Lui, vole à son secours « les mauvaises raisons d’agir avaient toujours le même nom et Richard le connaissait par cœur : c’était l’espoir. La face cachée des probabilités ». Quant à Akainu, après le choc du tsunami et la perte de ses parents, la fuite constitue le moteur de sa nouvelle vie. Par peur que la réalité ne dépasse en tout point ses pires craintes.
« La société japonaise est comme le pays, on est perché sur un volcan au milieu de l’océan, sur une île parcourue par des milliers de lignes de failles, et ça tremble, et ça craque de partout. Vous voulez connaître le pays, étudiez son sous-sol. Eh bien, c’est pareil pour la société. D’ailleurs, c’est pareil pour les gens » écrit Thomas Reverdy.
L’auteur dépeint d’une plume magistrale, poétique et délicate, une société tiraillée entre tradition et modernité où les Yakuzas – sorte de mafia japonaise – font souvent la loi. Ses descriptions montent en puissance telle la vague qui a tout submergé. De ses mâchoires grises et ourlées d’écume comme de la rage, ne sont restées que tristesse et pauvreté. Comment fuir sans laisser de trace, comment renaître après cette mue volontaire ?
Ses descriptions montent en puissance telle la vague qui a tout submergé
Des travailleurs du quartier de San’ya à Tokyo aux camps de réfugiés de Sendai, les Japonais en viennent à regretter de ne pouvoir rencontrer Dieu « pour pouvoir l’engueuler. Car vraiment, il faudrait pouvoir en vouloir à quelqu’un ».Par une écriture soignée jusqu’à l’obsession, Thomas Reverdy plonge le lecteur dans le quotidien d’un pays bouillonnant et chaviré, à la fois désorienté et en quête d’avenir et où la fuite apparaît pour certains comme le seul exutoire.
Les phrases ciselées témoignent de son affliction envers un pays qu’il aime – ce pays où, par tact, on ne retrouve pas les évaporés, « parce que c’est la vertu des poètes ».
Séverine Osché