Il semblait que tout me guidait vers Les Femmes de Barbe-Bleue, créée en 2018: en sortant de mon appartement, j’observais avec amusement que les rideaux et les contremarches de l’escalier étaient bleus. Occupé à lire en route, je n’ai remarqué qu’en arrivant à la station Liège, et ses céramiques à l’air d’azulejos, que les logos des métros 13 et 2 étaient tous les deux bleus, l’un clair et l’autre foncé : tout comme la devanture bleue du Théâtre de Belleville, où est joué ce merveilleux psychodrame. Malgré ces signes avant-coureurs, je ne m’imaginais pas à quel point l’effet de la pièce serait puissant…

Après Psychodrame en 2024, la compagnie 13/31 et Lisa Guez, la metteuse en scène, confirment leur talent pour créer des pièces pharmaceutiques, c’est-à-dire une œuvre qui secoue et heurte, mais aussi qui libère et évacue les émotions. Le psychodrame est une thérapie par la dramaturgie, qui consiste en théâtralisation spontanée, une dramatisation improvisée de nos angoisses, de nos désirs, de nos conditionnements. Malgré tous ses effets bénéfiques, la catharsis n’est pas remboursée par la Sécurité sociale, mais il est toujours possible d’obtenir une prescription, autrement dit, d’acheter une place pour assister à la pièce. De prime abord, la mise en scène nous marque par son dénuement : seulement cinq chaises, quelques jeux de lumière et extraits musicaux. Par ce choix, la production stimule profondément l’imagination du public. Par exemple, pour nous représenter une scène de repas, il suffit de l’imaginer, guidés par le jeu de mimes et les sons de mastication des comédiennes. Le spectateur, à l’imagination fortement sollicitée, est complètement plongé dans l’enchaînement des récits de vies des femmes tuées par Barbe-Bleue, que la dernière femme découvre, au début de la pièce, pendues au plafond dans le cabinet à l’entresol. On s’identifie tout d’abord à cette dernière, tiraillée par le désir de découvrir ce cabinet puis horrifiée par ce qu’elle y voit. Enfin, après avoir ri et pleuré en ressentant le récit des quatre femmes, le public est soulagé qu’elles s’émancipent de cette emprise, avant de partir, ensemble et en paix. Libérées dans l’au-delà, l’ont-elles fait trop tard ? Non ! Comme la dernière femme le montre, il n’est jamais trop tard ! 

Une œuvre de l’émancipation

Chacune leur tour, les quatre femmes livrent des morceaux de vie : ce qu’elles étaient avant de connaître le meurtrier, le moment de bascule de la rencontre, la naissance des sentiments, puis l’emprise progressive que le tueur exerce sur elles (l’une est constamment humiliée, l’autre croit avoir rencontré son prince charmant…). Malgré la consternation violente que les émotions des comédiennes provoquent, la pièce est riche d’instants comiques et grotesques, ce qui permet de ne pas laisser une impression complètement désagréable sur le public. Le spectacle laisse plutôt une...