Zone Critique vous souhaite une bonne rentrée, et rempile pour une seconde année toute entière dévolue au cinéma, à l’art et bien sûr à la littérature ! Célébrons dignement cette nouvelle saison qui s’annonce avec un récit inédit : Les giboulées de mai par Tarik Otmani.

1.

Peut-être, au croisement de la rue Monge et de la rue des Ecoles, le soleil allait-il apparaître. C’était une intuition, un espoir pris dans le filet de vent chaud qui venait de naître derrière la nuque. Le ciel bas amoncelait son flot de nuages cotonneux, qui dispersaient leurs fibres éparses, jusqu’au-dessous des toits des immeubles haussmanniens. La brume semblait achever son règne froid de quelques heures. Les passants des rues étaient hagards sous le despotisme du temps.

Il est étrange de voir des corps succombés sous le poids de l’air. Pourtant, c’était l’état des choses, durant ces jours sombres, où les esprits s’impatientaient de lumière ; la fatigue s’étendait par-delà la surface des êtres ; sur le sol humide, se reflétait la grisaille des heures ; aucune volonté humaine ne pouvait vaincre les contingences moléculaires : il y avait là quelque chose de définitif, qui ne souffrait d’aucune contradiction. C’était frustrant mais il fallait s’y résoudre.

On ne devinait le passage des gens que par une nouvelle chaleur intermittente, – on levait un peu la tête, – leurs silhouettes passaient, – puis, revenait la solitude.

Sous la toile du bouquiniste La Galerie de la Sorbonne, les livres paraissaient perdus, sans aucun lecteur qui ne venait les feuilleter. Même la pointe dorée du soulier de la statue de Montaigne, devant le petit jardin de Cluny, brillait ridiculeusement.

2.

Je devais voir Cécile aux Associés. Un café qui se situe aux bords de la place de la Bastille. Elle y travaillait ce jour-là, car elle avait passé la nuit chez une amie, qui habitait rue Charles Delescluze.

Cela faisait longtemps que nous n’avions pas dormi ensemble, avec Cécile. Quelque chose s’était imperceptiblement rompue entre nous, sans que nous sachions trop quoi. Il n’était pas question que nous nous séparions, nous demeurions encore ensemble ; mais, nous en étions arrivés à ce stade d’une relation, où la solitude partagée, était une bonne solution.

Malgré tout, il est déconcertant d’être avec quelqu’un depuis longtemps, et d’avoir le sentiment, à un certain moment, que celle que l’on désire, nous est de plus en plus lointaine. Elle m’était devenue presque aussi insaisissable qu’une inconnue.

De mon côté, je n’agissais pas. Non pas qu’une certaine volonté, et la frustration, remuaient au fond de moi, et m’encourager à changer les choses. Seulement, ce ne devait pas être maintenant. Voilà tout. J’attendais. Je ne savais trop quoi d’ailleurs, l’exaspération peut-être. Je confiais, en tout cas, au temps, le soin de nous rapprocher l’un de l’autre.

Le ciel ouvrit un couloir aux lourds nuages gris, en suspension, qui avançait comme après une détonation lointaine, qui se serait déclenchée des heures auparavant.

D’un pas pressé, j’avais rejoint la station Cluny ; ses clochards, sur le quai, me déprimaient, je n’étais pas d’humeur à avoir l’âme sociale. Je fuyais temporairement la vie souterraine par des pas perdus que j’égrenais, seul, dans mon coin. – La trombe du train, débouchant du tunnel, s’abattit. – J’échangeai ma gêne à quai contre le spectacle des sales gueules en voyage. – Avant de monter dans la rame, jeté au sol, je vis le regard insoupçonnable de Jérôme Cahuzac dans un journal laminé.

Je me sentais mal. J’étais pris par cette nausée indéfinissable qui vous dévore les belles pensées. – Je descendis à Gare d’Austerlitz. – Je rejoignais Bastille à pied. La grêle venait de s’abattre sur Paris, et ses cadavres jonchaient encore le sol. – Les voitures sur la chaussée perçaient l’air dans une trombe chevaleresque. – J’étais écrasé, je suffoquais, aucune échappatoire ne se profilait à l’horizon. Jamais, n’éprouvais-je aussi intensément, le poème Spleen de Baudelaire :

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

Et que de l’horizon embrassant tout le cercle

Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,

Où l’Espérance, comme une chauve-souris,

S’en va battant les murs de son aile timide

Et se cognant la t...