Thomas Morales, dans Les Mémoires de Joss Beaumont, raconte les enquêtes d’un détective privé parisien, aux allures dandy et machiste. Ce polar vaut moins pour la ficelle de ses intrigues que pour ce qu’il nous dit sur la nostalgie d’une époque.
Ce Joss Beaumont ne s’intéresse pas aux personnes à tuer, comme le héros du film Le Professionnel, joué par Jean-Paul Belmondo, et sorti en 1981. Le Joss Beaumont de Thomas Morales s’intéresse “uniquement aux personnes mortes et aux objets démodés”. C’est un détective parisien, à la clientèle aisée, à la soixantaine bedonnante, et au regard macho.
Les années 1970
Le détective Beaumont enquête davantage sur les disparitions mystérieuses que sur les adultères. Il n’est pas là pour protéger ses clients mais intervient quand c’est déjà trop tard et que la police est sur les lieux du crime.
Après les morts d’un magnat de la presse et d’un patron du secteur automobile, Joss Beaumont enquête sur la mort de Merlin, un ami journaliste de trente ans, avec qui il a traversé les années 1970. C’étaient les années Giscard et l’époque avait encore un petit goût de Trente Glorieuses. Beaumont avait commencé une carrière de journaliste quand la presse vendait du papier comme des petits pains.
Joss Beaumont est un homme en retard sur son temps, empreint de nostalgie. Ce passionné d’autos et de cinéma – comme l’auteur – a presque la larme à l’oeil quand il repense à sa Range Rover. Elle le renvoie au film Le Taxi Mauve avec Philippe Noiret et Charlotte Rampling, tiré du roman éponyme de Michel Déon. Même émotion quand il rencontre un client avec le blouson de cuir authentique du héros du Professionnel, à qui il a emprunté son nom d’enquêteur.
Douce nostalgie
Joss Beaumont n’est pas triste. Il pourrait s’enfermer dans un déni du présent, une peur du futur, une angoisse existentielle de voir le temps filer comme sa Chevrolet sur les routes de France.
Sa nostalgie est douce. Elle donne une couleur poétique au monde. C’est elle qui lui donne l’impression de rouler sur la route 66 alors qu’il ne fait qu’un Paris-Le Mans. Cette nostalgie apporte la douce mélodie des chansons des années 1970 qu’il passe en boucle dans son auto radio. Ce sentiment offre les images d’une époque où la vie était simple. Quand il passait des vacances entre amis, que les femmes se doraient au bord de la piscine et lorgnaient sur les muscles des maîtres nageurs, pendant que les hommes préparaient le barbecue en buvant l’apéritif. Des moments à revivre.
Les motifs de la nostalgie décorent tout le roman. Le premier client de la carrière de Joss Beaumont n’est autre qu’un collectionneur de poupées Big Jim, le pendant masculin de Barbie dans les années 1970. Ce collectionneur vit dans un appartement cossu de Saint-Germain-des-Prés car il a fait fortune avec ces petits bouts de plastique aux muscles bien dessinés et aux cheveux synthétiques. La valeur sentimentale d’un objet, si elle partagée, ne serait-ce que par un petit nombre, peut multiplier sa valeur commerciale.
Voyager dans les époques
Nul doute que le livre de Thomas Morales qui chante la gloire passée des années Giscard s’adresse aux lecteurs de cette époque. On pourrait penser qu’il donne peu d’égards aux générations suivantes qui n’ont pas senti l’atmosphère de cette période, difficile à reproduire. Mais quel message adresse-t-il à ses plus jeunes lecteurs, nés dans les années Chirac, et qui n’ont connu qu’un Jean-Paul Belmondo blanchissant en bon patriarche ? Eh bien comme Joss Beaumont, sur les routes de France avec sa Chevrolet ronronnante, le livre invite les plus jeunes à voyager dans les époques passées, à se cultiver, à se nourrir de symboles et d’objets qui n’ont plus cours aujourd’hui. Voyager sans se perdre, pour mieux revenir et savoir ce qu’un passé dit de notre présent. Peut-être que la valeur d’un objet réside non dans son prix de revente potentiel sur Internet, mais dans la beauté et le sentiment qu’il nous évoque.
- Les Mémoires de Joss Beaumont, Thomas Morales,éditions du Rocher, 18,50 euros, 250 pages, avril 2015
Pour aller plus loin sur les années Giscard, Michel Déon et Jean-Paul Belmondo :
- Lectures vagabondes, Thomas Morales, La Thébaïde, 18 euros, 257 pages, octobre 2014
- Dictionnaire élégant de l’automobile, Thomas Morales, rue fromentin, 23 euros, 183 pages, octobre 2013
Alexandre Poussart