Depuis l’essor de la série Black Mirror sur Netflix, le genre de la dystopie est en vogue. Timidement, la littérature s’empare également de ce courant, comme le montre le roman Panorama de Lilia Hassaine (collection Blanche, Gallimard). L’autrice y développe un monde futuriste à travers le prisme de la justice. Dans un paysage littéraire souvent dominé par l’autofiction et une pléthore d’écrivains en mal d’imagination, il faut saluer l’audace et l’ingéniosité de Lilia Hassaine.
La « transparence » est le nouveau paradigme de cette société. Celle-ci implique une ville dans laquelle la vie privée n’existe plus, les citoyens habitent des maisons ou des appartements aux murs transparents. Tous les édifices de la ville sont vitrés : prisons, écoles, mairies, postes… et ressemblent à des aquariums de verre, à des murs transparents derrière lesquels chaque geste est exposé au regard des autres. On entre dans les maisons de nos pairs « comme par effraction, on fracture les serrures d’un “simple” coup d’œil. » Lilia Hassaine explore avec minutie les implications de cette transparence absolue, où il devient impossible de dissimuler, de tricher, ou de cacher quoi que ce soit.
Comme dans la société actuelle, la ville est quadrillée par différents quartiers qui, faute de moyens, n’ont pas atteint le même stade de développement : les classes moyennes résident à Bentham, les bourgeois ont investi Paxton, dans lequel les gens riches et célèbres se retranchent et vivent en autarcie. L’exception à cette Transparence de la société réside dans les quartiers des Grillons Nord et Sud. Abandonnés par le conseil municipal de la ville, peuplés par des individus désargentés, ces quartiers sont grignotés par les HLM. La transparence n’a pas pu y avoir lieu, faute de moyens. Les logements sont donc restés tels quels, des «barres d’immeubles surpeuplées » ou « des pavillons aux murs et aux cloisons en béton ».Quant aux Grillons Sud, ils sont dépeints comme un quartier décrépi, au sein duquel : « des terrains vagues, des prairies dégarnies côtoient des pavillons inhabités, des fermes délabrées. »
Le thriller, un prétexte pour dépeindre le monde de demain
Les mystères s’accumulent, l’autrice multiplie les fausses pistes et les effets de surprise
La première partie du roman pose le décor, avec la chronologie des événements ayant mené à la transparence. À la suite de la Revenge Week, une révolution de vengeances qui devient virale et pendant laquelle «un climat insurrectionnel s’installe en France, les victimes punissent leur bourreau », les crimes sont filmés, relayés et likés par des milliers de personnes. Une avocate très médiatique propose un principe de « transparence citoyenne », dont le postulat est le suivant : si vous n’avez rien à cacher, alors vivre en toute transparence ne vous posera aucun problème. Les habitations sont détruites, puis reconstruites conformément à la transparence.
Dans ce décor, alors que les gestes de chacun sont scrutés et qu’il est impossible d’échapper au regard de quiconque, une famille entière, les Royer-Dumas, disparaît mystérieusement de son domicile. L’enquête est menée par Hélène et Nico, ex-policiers relégués au rang de gardiens de paix depuis que la criminalité a chuté.
Les mystères s’accumulent, l’autrice multiplie les fausses pistes et les effets de surprise, si bien qu’il est impossible de deviner la fin et l’identité du coupable avant les toutes dernières pages.
Mais dans le fond, le thriller n’est qu’un prétexte pour dépeindre le monde de demain, l’unique bémol serait peut-être la première partie très descriptive, dans laquelle les chapitres s’enchaînent sans que l’histoire n’avance. Pour un thriller d’anticipation, davantage de suspense entre les pages aurait peut-être rendu la narration plus efficace.
L’usage de la dystopie pour analyser la société
Dans son analyse du futur, Lilia Hassaine nous offre une vision intrigante de la société à venir. Contrairement à certaines critiques qui déplorent un enchaînement de clichés ou des comportements caricaturaux, la vision de l’autrice m’a semblé très pertinente, les clichés empruntant toujours quelques détails à la réalité. Dans ce monde futuriste, les jeunes rejettent les appels téléphoniques jugés intrusifs et préfèrent communiquer via des messageries sécurisées et les réseaux sociaux, illustrant ainsi notre dépendance croissante à la technologie et notre désir de contrôler notre vie sociale.
Dans le quartier de Bentham, les maisons uniformes reflètent la perte d’originalité et d’identité individuelle, exacerbée par la mondialisation et l’influence de...