Thomas Bellorini, artiste en résidence au CENTQUATRE-PARIS depuis 2013, y présente du 20 au 27 décembre 2023 une adaptation du célèbre conte italien de Carlo Collodi, Pinocchio. Avec la compagnie Gabbiano qu’il dirige, il fait le pari d’une version onirique où la musique, l’image et les arts du cirque précipitent les spectateurs dans un univers merveilleux où opère toute la magie de l’enfance. Spectacle tous publics, Pinocchio réveille l’enfant qui sommeille en chacun de nous. 

Qui peut encore dire qu’il ne connaît pas l’histoire de Pinocchio ? Qui peut prétendre même n’avoir jamais entendu ses parents évoquer un nez qui s’allongerait à la suite d’un mensonge ? À dire vrai, sans doute personne. Il faut dire que le roman pour enfants de Carlo Collodi, Le avventure di Pinocchio. Storia di un burratino (Les Aventures de Pinocchio. Histoire d’un pantin) est le second livre au monde le plus traduit, et ses adaptations sont nombreuses depuis la publication du livre en 1883. L’enjeu est donc de taille : mettre en scène Pinocchio de manière singulière relèverait quasi de la prouesse. Adapté également à un public très jeune, dès cinq ans, le spectacle d’une heure de Thomas Bellorini se distingue en premier lieu par sa musique originale live, celle qui débute dès les premières secondes du spectacle et est signée par le metteur en scène lui-même. D’emblée, le spectateur est conduit dans le monde de l’enfance, de ses chimères et de ses accessoires, à commencer par les bâtons de pluie agités par la bonne fée, les sifflets et les tambourins, ces instruments qui renvoient directement à cette époque chérie et unique que l’on regarde parfois avec une certaine nostalgie. Thomas Bellorini l’a bien compris et son choix de mettre en scène un conteur, interprété par un François Pérache volubile autant que magistral, en charge de raconter l’histoire de Pinocchio souligne toute la tendresse qu’il porte à cet âge où l’imagination, la fiction et même le mensonge se mêlent et se démêlent pour apprendre à grandir. 

Une quête initiatique

Car si dans la salle les enfants s’émerveillent, s’amusent et s’exclament devant ce spectacle féérique, et en particulier lors de la chute de la neige, instant suspendu d’une grande intensité dramatique mais aussi poétique, les adultes ne sont pas en reste : il y a dans la fable de Pinocchio par Bellorini une forme d’universalité, à la fois par ce qu’elle nous évoque de notre enfance, mais aussi en ce qu’elle souligne l’absolue nécessité d’un rapport direct au monde, sans calcul, sans stratégie, sans circonvolution du langage, dans l’émerveillement pur. L’histoire de Pinocchio est une véritable quête initiatique. La sentence, prononcée par la bonne fée accordéoniste, dont le costume au col monumental comme des ailes de papillon rappelle celui de Catherine Deneuve dans l’adaptation de Peau d’âne par Jacques Demy, et qui affirme que « les pantins ne grandissent jamais » sonne comme une invitation à ne pas se laisser manipuler, comme une incitation à toujours exercer son esprit critique (même quand le grillon parlant de la conscience a été écrasé sous la semelle du pantin de bois au début du spectacle), à devenir humain, à cultiver son humanité, loin de la bêtise et de l’ignorance, mais par le voyage et les rencontres (même fâcheuses).

Bellorini réduit le nombre de personnages afin de ne conserver que certaines des grandes péripéties du roman qui mettent toutes directement en jeu la question de la vérité.

Bellorini réduit le nombre de personnages afin de ne conserver que certaines des grandes péripéties du roman qui mettent toutes directement en jeu la question de la vérité. On retrouve ainsi le truculent menuisier Maître Cerise qui donne à Geppetto le morceau de bois dans lequel il va sculpter le pantin, Geppetto aux vêtements rapiécés, le poussin sorti de l’œuf que Pinocchio veut manger en cachette avant de dire à son père son premier mensonge, le compagnon de classe qui convainc le pantin de le suivre au pays des enfants-ânes exhibés en spectacle, le cruel directeur de cirque, vêtu ironiquement en Monsieur Loyal alors même qu’il se complait à élever et à mâter des ânes dociles, et interprété par Samy Azzabi, et enfin, la baleine qui engloutit Pinocchio jeté à la mer lorsque, devenu infirme après une blessure lors de son numéro, le redoutable directeur se débarrasse de l’âne-Pinocchio. La baleine s’avère dans le spectacle un paysage-personnage. Ses entrailles sont symbolisées par un entrelacs de cordes et d’échelles, au fond du plateau, figurant à la fois l’ensemble des déchets engloutis par l’animal et les méandres d’une conscience qui s’éclaircit, les enchevêtrements d’une pensée qui se forge auprès du jeune pantin à la veille de devenir finalement, au terme de ses aventures, un véritable petit garçon, et surtout un humain, conscient de la valeur de la vérité et des conséquences néfastes du mensonge et de la fourberie. 

Une transformation du corps et de l’esprit 

Le conte merveilleux de Bellorini se distingue par l’intelligence et la finesse des choix opérés, et en particulier au sujet de la figure éponyme. Pinocchio est en effet campé par la trapéziste Brenda Clark, faisant de l’histoire du pantin une aventure universelle, valable pour tous, fillettes et garçonnets, femmes et hommes, petits et grands. Le rôle du corps dans le jeu de la trapéziste, qui ne parle jamais, donne une dimension toute charnelle à la transformation de Pinocchio : il s’agit de dompter la rigidité du bois, de l’apprivoiser, de l’assouplir. Peu à peu, les mouvements de l’artiste sur son trapèze gagnent en fluidité et en souplesse, et ce, jusqu’à ce que Pinocchio devienne une rigide peluche d’âne qui trône sur le devant de la scène lorsqu’il est au cirque. La trapéziste semble alors disparaître du plateau pour ne réapparaître que lorsque Pinocchio devient finalement un véritable petit garçon comme le lui avait promis la bonne fée deux ans auparavant avant qu’il ne disparaisse dans le grand cirque (du monde), allégorie de la tentation, de la bêtise et de l’ignorance. Sans jamais prêcher une bonne parole finalement vaine – comme le sont bien souvent les conseils abstraits des parents – ni faire de Pinocchio un conte moralisateur, le spectacle de Bellorini souligne ainsi le rôle de l’expérience et de la sensibilité dans l’apprentissage et dans l’éducation. L’univers magique qu’il élabore sur le plateau et auquel participe la troupe des comédiens et des musiciens est une invitation à choyer l’enfance, à en honorer les langages, même muets, et à en propager les mouvements et les dynamiques, jubilatoires et formateurs.

  • Pinocchio, d’après le conte de Carlo Collodi au CENTQUATRE-Paris du 20 au 27 décembre 2023.  Adaptation, musique et mise en scène : Thomas Bellorini.  Avec : Brenda Clark, Zsuzsanna Varkonyi, Samy Azzabi, Edouard Demanche, François Pérache, Marcian Buffard. Production : Compagnie Gabbiano.

Crédit photo : Pinocchio, Thomas Bellorini ©Milène Lang