Dans Propos réfractaires, Luc-Olivier d’Algange s’attaque au Moderne qui est contre tout ce que nous aimons. L’auteur nous propose tout simplement de partir au combat pour l’Âme du monde, mais avec un zeste de désinvolture et dans la joie de contempler les éternités chatoyantes.
« Être réfractaire, ce n’est pas être révolté avec le pathos moderne, c’est rompre là, avec calme et le plus simplement du monde afin de demeurer fidèle à l’essentiel. » A la lecture du dernier essai de Luc-Olivier d’Algange, ne vous attendez pas à un énième pamphlet réac. Ce n’est pas du tout le genre de notre dandy métaphysique. Ce qui est en jeu dans Propos réfractaires relève de la raison d’être. Et nous entrons dans ce livre comme nous entrons en conversation avec un ami qui va à la rencontre de la pensée en cherchant ses mots. Quelques références sont parsemées comme des balises : Bloy, Blanchot, Guénon, Dominique de Roux, Nietzsche, Daumal, Dante. Pas de dialectique ici, on ne peut utiliser l’outil de celui que l’on veut combattre sans le rejoindre dans l’arène et devenir son simple reflet. Luc-Olivier d’Algange ne cherche pas à convaincre car il ne cherche pas à tromper. Comme Sainte Bernadette, il ressent juste le devoir de nous le dire. Qu’il est doux de fréquenter celui qui parle avec autorité… celui-là distribue les aphorismes comme on ouvre les fenêtres d’un monde sentant le renfermé. Ses phrases se changent presque en dictons mâtinés de sagesse orientaliste. Ce qu’il nous livre ressemble parfois à la morale d’une fable et cette fable, nous la connaissons bien, c’est la farce de notre monde. Dans cette farce, Luc-Olivier d’Algange a identifié le protagoniste, c’est le Moderne. Ce Moderne, comme l’Homo Festivus de Muray, devient le masque archétypal figé d’un théâtre antique pour nos jours. Ce qui fige ce masque dans une grimace, est tout ce qui l’empêche d’être : le monde du travail, l’ère de la technologie, la société du contrôle, le dogme de l’utilité, le culte de la quantité… « L’arme du barbare moderne étant la haute technologie. » Mais cela ne s’arrête pas là car d’Algange a bien identifié que cette modernité était aussi un virus de la pensée ou plus exactement un refus de penser qui ordonne jusqu’aux décisions politiques. « Les modernes ont cette passion, nier l’évidence. »
Un plaidoyer pour l’incarnation et la vie intérieure
Luc-Olivier d’Algange se fait plutôt le chantre de la tradition en action.
Pour notre auteur, face aux attaques que subit l’être, l’enjeu est de demeurer humain dans un monde qui veut nous faire transhumains dans un confort post-humain. Voilà, « Les modernes fabriquent du chaos… ». Lui se fait plutôt le chantre de la tradition en action : « Je n’aime pas le passé ; j’aime ce qui est présent du passé. » La subtilité est de taille pour échapper au conservatisme et au moralisme et mieux combattre toutes ses formes insidieuses du totalitarisme moderne. Via l’érotisme des phrases, des saisons, l’invitation à convertir notre regard aux épiphanies, aux éternités chatoyantes, à reconnaître les symboles, à entrer en contact avec l’âme du monde, Luc-Olivier d’Algange nous offre un plaidoyer pour l’incarnation et la vie intérieure. « Symboliser est un acte amoureux. Noces du visible et de l’invisible. » Tout est pourtant mis en place pour brouiller ces épiphanies. Il faut dire que « L’immense gratuité de la création inquiète et scandalise les calculateurs, les impies. » Le Moderne ayant la pensée courte se contente de croire en l’homme et finit par être contre tout ce que nous aimons. Notre auteur dandy se veut chevalier. « Le combat pour l’Âme du monde oppose un sacrifice à un gâchis. Le moderne, ne voulant rien sacrifier, gâche tout. » En refermant ces Propos réfractaires, nous avons bien envie d’épouser cette chevalerie spirituelle proposée pour échapper au monde policier, de l’épouser avec cette pointe de désinvolture nécessaire à la lettre et l’esprit. « Être réfractaire, ce serait alors se souvenir que nous avons reçu. »
- Propos réfractaires, essai de Luc-Olivier d’Algange, L’Harmattan, 2023
Crédit photo : William Turner, The Slave Ship