Lecteur de Bukowski et de Calaferte, Ludovic Villard explore dans Cartilages la forme du carnet, ou plutôt des “notes d’intérim”, comme le mentionne le sous-titre du récit. À travers une écriture fragmentée, l’auteur, également poète et rappeur sous le pseudonyme de Lucio Bukowski, partage ses souvenirs de déménageur intérimaire. Une expérience qu’il vit comme aliénante. Le récit de ce quotidien déshumanisant lui confère une dimension intemporelle, où le travail physique semble avaler tous les aspects de la vie. Une nécessité se dessine alors : celle d’écrire pour témoigner, pour résister.
Dans un entretien pour le Book Club sur France Culture, Ludovic Villard revient sur la notion d’aliénation ressentie durant son emploi de déménageur. Davantage que la souffrance physique d’un corps que l’on épuise, c’est la souffrance mentale d’être réduit à un “corps-outil” au service de l’entreprise qui engendre ce sentiment de dépossession. Le déménageur ne devient aux yeux des autres que ce corps à vendre, sans aspirations, rêves ni identité propre, anonyme et interchangeable.
« Parfois, ce ne sont pas les douleurs articulaires qui donnent une sale impression. C’est le cartilage de l’amour-propre qui grince. »
Apparaît une filiation avec les Feuillets d’usine de Joseph Ponthus, notamment dans la structuration du récit et son écriture en fragments. Des fragments qui matérialisent l’épuisement et l’urgence d’écrire ce quotidien, avant qu’il ne se confonde avec la journée d’avant ou celle d’après. Les feuillets de Joseph Ponthus et les notes de Ludovic Villard ont en commun cette volonté de laisser une trace de leur condition, de dire la cadence de travail, les gestes répétitifs, mais aussi de ces tentatives d’échappatoire par l’écriture. L’auteur évoque cependant qu’avec du recul, ce travail de violence physique lui a offert un « outillage » pour comprendre le monde et la nature humaine. La difficulté corporelle permet alors de tester ou de comprendre ses limites et une forme de beauté réside dans la rencontre de l’autre, de ceux aux corps abîmés avec qui on porte des meubles, ou de ceux dont la vie est contenue dans quelques cartons.
Écrire comme acte de résistance
Les notes de Ludovic Villard évoquent des cartilages. Seules, elles peuvent sembler anecdotiques, mais leur addition compose la colonne vertébrale du récit. L’image du « corps-outil » utilisée tout au long du récit symbolise la lutte interne du poète-déménageur entre désir de temps à soi et nécessité, envie et volonté.
“Plus la force de baiser le soir. / Plus l’envie non plus./ M’endors comme une masse./ Rêve de choses que je soulève./ À des villes de carton.”
Les notes du récit relatent une journée de déménagement ou une soirée de couple. Elles alternent entre le portrait d’un collègue et celui d’un intérieur qu...