Dans Le rêve du jaguar, Miguel Bonnefoy tente de s’inscrire dans la tradition du réalisme magique, sur le mode de l’épopée familiale entrelacée dans la grande Histoire : mais les clichés et l’emphase ravalent cette tentative d’alcool fort au rang de sirop.
Ce nouveau roman de Miguel Bonnefoy présente, par bien des aspects, un air connu : nous y suivons une famille d’êtres singuliers sur environ un siècle, et leurs vies s’entremêlent aux différents soubresauts économiques et politiques du Venezuela. Une première génération est témoin de la découverte du pétrole, qui fait de l’humble port qu’était Maracaibo un maelström d’activité – pour le meilleur et surtout pour le pire. Les suivantes connaîtront la dictature militaire, le chavisme, l’émigration en Europe pour certaines. Ce recours à l’histoire d’une famille pour peindre celle d’un pays se marie aux quelques touches de réalisme magique pour révéler derrière ce livre l’influence de Cent ans de solitude.
Mais la principale différence entre cet opus et son illustre prédécesseur est le fait que, là où le second était mythique voire biblique, le premier est bien plutôt mélodramatique, sans même parvenir au vaudevillesque : il se prend pour cela bien trop au sérieux.
Le roman comme permanence dans un monde mouvant
Signalons pour commencer une idée intéressante que contient ce livre : Cristóbal, le dernier membre de cette famille ersatz des Buendía (la famille de Cent ans de solitude), est ballotté par ses parents dans le monde entier. Aussi, pour lui, le roman est tout sauf ce voyage que l’on décrit habituellement : « Pour Cristóbal, dont l’enfance n’avait été que voyages, lire c’était rester. Les villes changeaient, les langues se multipliaient, les cultures défilent sous ses yeux, or les livres, eux, ne changeaient pas. Qu’ils aient été à Lisbonne, à Rome, à Caracas, à Buenos Aires, les romans de sa jeunesse ne changeaient pas. » L’on pourrait certes objecter qu’un même livre lu à deux époques différentes n’est plus vraiment le même pour un même lecteur : mais notons néanmoins qu’il y a une certaine pertinence à faire de la littérature un refuge stable, une cathédrale de mots dont l’aspect inchangé quoique sans cesse redécouvert conforte l’homme en proie à l’épuisante écume des jours.
Un mélodrame épais
Mais ce point de vue novateur ne suffit pas à relever de son sel l’épaisse mélasse mélodramatique dont le roman est enrobé.
Ainsi, lorsque Antonio, premier personnage dont...