Profitant de l’édition du deuxième tome, si attendu, de l’incorrecte correspondance littéraire Morand-Chardonne, Gallimard a eu l’idée de faire paraître en volume les lettres échangées entre 1950 et 1962 par Paul Morand et Roger Nimier. Notre chroniqueur revient sur cette sortie littéraire que l’on n’attendait plus, vingt ans après la parution des missives Nimier-Chardonne.
‘’Il n’y a de véritable déception que de ce qu’on aime.’’ Bernanos
Les Grandes Espérances
D’un côté, Paul Morand, prince des salons des années folles, proche de Proust et de Cocteau et marié à l’héritière Hélène Chrissoveloni. Le vieux Morand, l’inventeur du style pressé, le chroniqueur des élites désabusées qui brûlent leurs vies en voyages, en décapotables et en verres de trop dans des hôtels à peu prés aussi vides qu’eux-mêmes, aux quatre coins de la terre.
De l’autre, Roger Nimier, jeune premier précoce et provocateur, chef de file des Hussards et principal opposant à l’existentialisme sartrien. Nimier, qui partage sa vie entre la compagnie des actrices, le volant de son Aston-Martin et ses lectures incessantes du cardinal de Retz. Le jeune Roger, qui écrit alors énormément – six livres en trois ans-, édite plus encore -c’est notamment à lui que l’on doit la collection du livre de poche et le retour en littérature de Céline après guerre- et vit une existence à 230km/h avant de s’aplatir brutalement contre le parapet d’un pont, sur l’autoroute de l’ouest, à 37 ans, en compagnie d’une jeune romancière de dix ans sa cadette.
Deux légendes littéraires face à face, deux personnages de roman qui conversent et partagent un héritage. Tout lecteur normalement constitué ne pouvait s’attendre qu’à une correspondance à bride abattue, concise et nerveuse, à de l’esprit français cravaché, traversé d’éclats de stendhalisme et de persiflages bien sentis sous le règne absolu de la ponctuation et de l’ellipse, à des échanges rédigés au nerf de bœuf, cinglants et lapidaires, à un ouvrage à contre-courant des somnolences et des berceuses romantiques et porté par de grandes discussions sur le roman moderne et le style, la politique et l’époque. On espérait encore quelques confessions, quelques profondeurs peut-être…
Tout semblait réuni pour une franche réussite.
D’autant que Nimier côtoie à l’époque Laudenbach, Jeanne Moreau, Louis Malle, Blondin… Entre ses engagements dans le cinéma, l’édition, la littérature, la politique et une vie sentimentale plus que romanesque, les sujets ne manquaient pas !
Bref, tant pour les profanes que pour les happy few, tout semblait réuni pour une franche réussite…
« Faut pas prendre les enfants du bon dieu… »
Au lieu de ça, nous voila embarqués dans une communication du coq à l’âne, circulant cahin-caha, de billets en cartes postales, de petites lettres en télégrammes, pleines de propos de circonstances affreusement convenus professés par deux gentilshommes quelconques.
‘’Pour être romancier, il faut une dose sérieuse de connerie’’ disait Paul Morand. Ne parlons pas des éditeurs… Surtout quand ceux-ci prétendent que 2 anecdotes, 3 paragraphes percutants et 5 bonnes formules justifient 500 pages de lecture, 488 missives – plus proches du télégramme que de la lettre- et 34 euros de dépense.
‘’Le guide parfait du hussard’’ assure pourtant le bandeau écarlate ! La quatrième de couverture en remet d’ailleurs une couche, claironne : un livre plein de ‘’pastiches littéraires’’, ‘’ d’humour insolent’’ et de ‘’défense d’une certaine idée de la littérature’’… Immonde mensonge! Le guide des grands crus classés, des hôtels étoilés, des restaurants côtiers et des bons conseils boursiers aurait été plus juste ! Sempiternel baratin de vieux éditeurs auréolés, ayant des inédits sur tout, essentiellement dans le sens des ventes et profitant donc du récent engouement autours des auteurs de droite.
Même la préface de Marc Dambre est attristante. Lui l’analyste érudit de Nimier, l’homme ayant fait rentrer les Hussards dans la recherche universitaire, lui, le professeur émérite de la Sorbonne-Nouvelle réduit à six pages de platitudes… Dommage ! Peut-être n’avait-il rien à dire sur tant de vide littéraire ?… Et on le comprendra aisément !
Car l’absence de littérature dans cette correspondance est sidérante ! Roger Grenier, écrivain et membre du comité de lecture des éditions Gallimard, chargé de statuer sur la publication de l’ouvrage déclarait d’ailleurs dans son rapport de lecture : « D’accord pour publier lorsqu’il s’agit de démystifier, mais là, franchement, ça n’a rien de littéraire ». Et pour cause, Morand et Nimier n’écrivent pas, ils rédigent, ils ne conversent pas, ils causent, ils ne font pas de littérature, ils font des listes.
Morand et Nimier n’écrivent pas, il rédigent, ils ne conversent pas, il causent
Que l’on est loin d’Ouvert la Nuit et des Épées, du Grand d’Espagne et de Tendres Stocks, du Hussard Bleu et de Lewis et Irène.
Nimier, lui-même conseiller littéraire chez Gallimard, n’aurait pas osé, malgré son goût de la provocation et une certaine morgue aristocratique, prendre à ce point ses lecteurs pour des imbéciles. Quant à Morand, il s’opposait de son vivant à la publication de ses courriers qu’il considérait comme ‘’ tout au plus des lettres de peu de lignes’’.
L’Herne, qui a consacré un cahier fantastique à Nimier, ne reproduit que dix des cinq cents lettres rendues ici par Gallimard. Certains font le choix de la qualité… Pour quatre euros de plus, les éditions de l’Herne proposent un ouvrage au contenu infiniment supérieur, ouvrage qui fera par ailleurs toujours plus original dans votre bibliothèque qu’une énième tranche crème et rouge de la collection Blanche !
Les Extravagants
On suit donc de loin l’évolution de certaines revues (Art, La Parisienne, l’Esprit Public) et l’on a droit au récit de quelques cuites épiques (Kleber Haedens, Stephen Hecquet, Antoine Blondin). Une poignée de ragots rapides et un brin d’amitié viennent saupoudrer le tout, majoritairement constitué de déclamations sur la cuisson du homard, de commentaires sur les scores des Springboks et de demandes de service presse, de préfaces et autres tambouilles éditoriales.
Mais le lecteur assiste surtout à des discussions – ô combien essentielles !- que l’on peut aisément classer en trois catégories :
- Que conduire ? Mercedes 300SL, Triumph 3 ou Buick 61 ?
- Où manger convenablement ? Crillon, Lipp ou Bar du Ritz ?
- Que boire ? Chassagne-Montrachet, Château Margaux ou Gruaud-Larose ?
L’ouvrage se constitue donc en bonne partie d’une orgie de noms propres, digne des pages publicités du Figaro Madame : étalage d’achats et effet catalogue qui frôlent parfois le ridicule et témoignent d’un goût de l’accumulation petit bourgeois et d’une philosophie de laquais d’ancien régime péniblement dissimulée derrière de rares bons mots.
Quelques citations de Charles XII ou de Madame de Sévigné viennent alors relever l’ensemble d’une touche de culture – noblesses oblige !- convenue.
Comme dans un repas du dimanche qui n’en finit pas de finir chez des notables de province, dans lequel on discute de tout sans jamais parler de rien et où le catalogue des vantardises tente de se faire passer pour de l’émulation intellectuelle, la correspondance Morand-Nimier se ressasse en lettres mortes, reste très en surface et ennuie profondément. On ne pense, pour être franc, qu’à sortir de table pour trouver un peu de cavalcade, d’air frais et de vie.
L’ouvrage se constitue donc en bonne partie d’une orgie de noms propres, digne des pages publicités du Figaro Madame
On ne manque pourtant pas d’appétit : on aimerait dévorer l’ouvrage, croquer à pleines dents cette correspondance, goûter le subtil arôme composite de deux pensées qui se rencontrent, se nourrir du texte et y prendre plaisir… Hélas, sous couvert de nouveauté, on ne nous sert décidément ici que des épluchures !
‘’Auri sacra fames’’
Au pied du monument Littérature, les immémoriaux marchands du temple prospectent, pérorent, s’agitent. Intraitables foutriquets au galimatias bien rodé, ces puissants brailleurs font bruisser à l’oreille du chaland des feuillets d’inédits ressuscités des fonds de tiroirs, reliques bien rentables, feuilles mortes tout bénéfice, qui les rendront, si l’entourloupe prend, riches comme Hérode. Notes d’auteur, écrits de jeunesse, romans inachevés -voire à peine commencés – et correspondances mineures forment la marchandise principale de ces bradeurs sans scrupules qui savent qu’en bons paroissiens emprisonnés dans notre culte des grands auteurs, nous irons jusqu’à nous procurer leurs petits papiers.
L’idée brillante – et âprement boutiquière – étant de faire fructifier post-mortem des écrits sans envergure, véritables évangiles de bric et de broc, en les transformant miraculeusement en testaments littéraires prêts à remplir les rayons des libraires français, il faudrait, je pense, songer rapidement à une publication intégrale – et sur papier Bible ! – des listes de courses de Malraux, des premières dictées de Duras ou des derniers SMS de Tomas Transtromeur ! Que font nos éditeurs ?… Qu’en pense Antoine Gallimard ? Bien sûr me direz- vous, ce n’est sûrement pas la question qui taraude principalement le gérant de la plus grande supérette des Lettres Françaises… On doit plutôt y faire actuellement le bilan du tiroir caisse et se poser la question fatidique : « On boit quoi pour fêter ça ?! Chassagne-Montrachet ou Gruaud-Larose ? »
Pour votre part, économisez 34 euros, achetez un bon Nimier d’occasion, relisez les lettres de Céline à la NRF et sortez boire un Aperol-Spritz en terrasse : le premier bistrotier à la langue bien pendue que vous croiserez sera, je vous l’assure, toujours plus hussard que cette correspondance !
“Ces maudits éditeurs veulent tout imprimer : ce sont des corbeaux qui s’acharnent sur les morts, comme l’envie sur les vivants.” Voltaire
- Correspondance (1950-1962), Paul Morand et Roger Nimier, Gallimard, 464 pages, collection Blanche, 34 euros, avril 2015
Pierre Chardot