Dans son récit autobiographique My America, Phyllis Yordan, fille d’un scénariste hollywoodien oscarisé et d’une danseuse de revue, revient sur les fantômes de son enfance. L’un des livres de l’année pour notre contributeur.
Un comédien théâtralise le texte et je découvre dans cette lecture à deux voix, celle de Phyllis Yordan, tout en douceur, voix qui me séduit. Et avec « laquelle », je lis le livre, d’une traite dès que je rentre dans mon mouroir. “La nature humaine suce des poneys morts / Regardez dans votre assiette / Regardez où vos pères fourrent leur bite / Regardez ce que vos mères se foutent dans la chatte / Regardez ce que les gamins s’envoient dans les veines / Regardez l’horreur / … / Je ne vois la beauté que dans l’œil animal / Dieu est une feuille morte qui tournoie accrochée à une toile d’araignée / Tarkovski ne peut plus nourrir sa famille / C’est toujours un bon jour pour mourir /” Texte autobiographique où l’auteur nous donne à entendre des souvenirs et les fantômes de l’enfance. Un parcours presque autistique d’une petite fille qui regarde le monde avec une rage mêlée de détachement, à moins que cela soit le détachement de l’écrivain qui écrit, survivant. Fille d’un scénariste hollywoodien oscarisé et d’une danseuse de revue, brinqueballée de lieux instables en hôtels de luxe, où les domestiques portent des gants et des uniformes, mais ou le viol est générationnel. Texte hybride entre démarche théâtrale, récit et long poème. La fille. Le père. La mère. La grand-mère. Texte d’une haute puissance où l’on pourrait croire Sarah Kane vivante. Violence d’un Edward Bond. Tendresse et tourment évoquant le Sombre printemps d’Unica Zürn. Bien vivre est la meilleure des vengeances. Dans sa biographie, Phillis Yordan nous rassure, elle va bien. Après deux heures en sa compagnie, moi aussi, je vais mieux. Je ne suis plus seul.
La langue de Phyllis m’embarque dans la quintessence même de ce que j’attends de la littérature
Entre douceur et violence
Seconde lecture du texte. L’envie de rédiger un papier qui dirait sans le dire « ce livre est parmi les trois plus grands textes que j’ai lus cette année ». La langue de Phyllis (la lire, c’est entrouvrir la porte sur l’intime, sur une proximité amoureuse) m’embarque dans la quintessence même de ce que j’attends de la littérature. Grand écart de danseuse entre fragile douceur – “Parfois quand ma mère revient / Elle me donne un tout petit bout de somnifère /” – et violence établie par une Amérique puritaine par perversion. “Ils disent une salope transmet les caractéristiques / De tous les chiens qui l’ont monté.” Je pense aux auteurs américains que publiait Christian Bourgois dans les années 70/80, à Marina Tsvetaëva et finalement, est-ce si important les références / influences et les rattachements ? Phyllis a sa propre voix, celle d’une authentique écrivain. Et on attend déjà son prochain livre, puisque les écrivains écorchés et sereins à la fois, fourmillants de mille romans en eux et qui écrivent peu (et de la poésie), fatalement ça créé impatience et addiction indexées à la force vitale du lecteur.
- My America, Phyllis Yordan, Traduction de Fabienne Maître, Editions ere, 12 €, 15 janvier 2014
- Présentation de Phyllis Yordan et de My America sur le site des éditions ère