Dans L’Épaisseur de l’aube, Nicolas Garma-Berman nous plonge dans l’intimité d’une famille, au cœur de ses silences : ceux qui se créent à la perte soudaine d’un proche, que l’on camoufle sous d’autres sons, d’autres musiques mais qui finissent par nous ronger.  Roy et Ness, deux frères, sont forcés par une succession d’événements tragiques à renouer le dialogue. Le récit alterne leur point de vue, nous emmenant dans un voyage à travers la forêt suisse, jusqu’à une maison familiale perchée dans la montagne. Entre leurs angoisses partagées et leur opportunité de se retrouver, le lecteur s’immerge dans une quête de vérité poignante.

Nicolas Garma-Berman, L'Epaisseur de l'aube

La relation complexe entre Roy et Ness constitue le pivot émotionnel du roman. Précipités dans une dynamique tragique, les deux frères s’affrontent et se soutiennent. Ils vont entreprendre ensemble un voyage réel vers un lieu symbolique à la recherche de la vérité mais également un voyage émotionnel leur permettant progressivement de se décharger du poids du passé. Si cette excursion va parfois être synonyme de déroute, elle va offrir aux deux frères une nouvelle page pour reconstruire leur fraternité. 

Le bruit comme langage : une histoire de sons et de musiques

Dès les premiers chapitres, la musique imprègne le récit. De Bob Dylan à Leonard Cohen, en passant par Pink Floyd et les Beatles, chaque introduction de chapitre convoque un extrait de chanson mythique qui confère une bande-son à cette fresque familiale. Ce fil musical incarne une dimension clé de l’histoire : le bruit, omniprésent mais absent à la fois, devient un moyen de communication pour les deux frères.

« Aussi loin que j’étais capable de suivre le fil de ma mémoire, même quand les images s’obscurcissaient et les visages disparaissaient, il restait la voix de mon frère » se remémore Ness. Ce passage illustre à quel point la musique et les sons transcendent les silences familiaux. Parfois salvateurs, parfois lourds de souvenirs, ces bruits offrent un espace pour guérir, comme le note Ness : « Nous n’avions pas vraiment parlé, mais nous avions écouté de la musique ensemble, ce qui pour Roy revenait au même. »

Le rôle du son évolue au gré des moments de vie. L’auteur le propose comme moyen de survie dans des espaces de silence oppressants. « J’avais besoin de bruit. Je ne suis pas à l’aise dans la nature, dans ces endroits sauvages, mais quand il y a du bruit, je peux m’y confronter. […] Mais cette nuit-là, le silence était total. » Ness lui, expose clairement cette place paradoxale et changeante : « Cette voix qui m’avait fait naître, grandir, qui m’avait fait oublier d’où je viens et m’avait habitué à un autre chez moi. Qui m’avait donné un nom, qui m’avait rassuré, et terrorisé. Cette voix qui, à mon oreille, avait fait mourir ma mère. Cette voix à présent ressuscitait son enfant. »

Le bruit est oppressant, voire menaçant, lorsqu’il est saturé de non-dits mais c’est aussi la clé unique d’une libération complète: 

« Tu peux t’échapper, Birdie. Mais pas comme ça […]

— Il faudra aussi…. Il faudra que je me bouche les oreilles.

— Mais non. Tu devras juste choisir la bonne musique. »

Ainsi, le fredonnement d’une chanson, pourtant un geste anodin, devient un refuge : « Cette nuit-là, le silence était total […] Alors j’ai fait une chose que je n’avais pas faite depuis des années : je me suis mis à fredonner une chanson à voix basse. » La musique, bien plus qu’un bruit, est désormais la passerelle entre passé et présent.

Fantômes et mémoire : les ombres du passé

Les fantômes traversent ce récit comme un leitmotiv, incarnant les secrets et les silences qui hantent les vivants. L’existence de ces spectres, d’abord un jeu d’enfant entre les deux frères, devient une métaphore puissante. « Craint-on moins les monstres quand on en est un soi-même ? » Cette question confronte personnages et lecteurs à leurs propres failles. 

Ce livre est aussi l’histoire d’un tournant, du moment où l’on décide de cesser de vivre pour les morts et d’apprendre à exister pour les vivants. Cette prise de conscience se révèle notamment dans ce passage et l’injonction d’aller de l’avant : « Ceux que tu cherches sont des créatures de chair et d’os. Ce n’est pas dans ces ténèbres que tu les trouveras. Lève-to...