Muray ne revendique pas de pouvoir ne pas être d’accord – mais il plaide pour n’être jamais d’accord
Que Muray se foute de la politique – qu’il ne soit, par conséquent, même pas réactionnaire – c’est la forme même du journal qui le prouve : « Un journal a un sens, si on n’arrête pas de penser, comme moi, des choses qu’on ne pourrait pas publier ». Au fond, Muray n’écrit pas, ne pense pas pour être publié. Il écrit parce que la littérature est le seul lieu où il est possible de refuser le monde. La littérature, écrit, Muray, est une « vengeance ». L’écrivain se venge du monde. Mais puisqu’il se venge du monde tout entier et sous toutes ses formes, l’écrivain apparaît nécessairement comme l’ennemi public numéro 1 : « Il faut dire merde à la société – sinon pas de littérature. Tout ce qu’on embaume sous le nom de « livres » ou de « grands écrivains » a dit merde, à un moment, au monde qui était contemporain de ces livres ou des écrivains. Il faut dire merde au temps qui passe [je souligne] ». La littérature est le geste suprême et souverain de celui qui refuse, tout et absolument. Ce dont témoigne l’écrivain, ce n’est pas de lui-même en tant que personne, pas plus qu’il ne témoigne – surtout pas ! – pour autre chose que lui-même (les écrivains politiques), mais, en dernier recours, l’écrivain est celui qui témoigne de la puissance infinie de refuser ce qui l’entoure, de se séparer du monde. D’où le dégoût de Muray pour toutes les cérémonies littéraires – car, par définition, la littérature est ce qui refuse tout cérémonial, c’est-à-dire toute comédie sociale : « Hier soir, un « Apostrophe » tout à fait exemplaire. On l’aurait dit sorti de Postérité [le roman de Muray, nldr.]. Glapissements des ligues de vertu. On n’a pas le droit de ceci, de cela !… Il faut être positif, pas critique, pas négatif ! » ; « Haine de la littérature. Toute l’anti-littérature défile tellement à « Apostrophes » depuis dix ans qu’il suffirait de reprendre les « thèmes » de la plupart des émissions pour faire le panorama de ce qui ne veut pas de littérature aujourd’hui ». Puisque nous ne sommes pas au monde, que nous ne pouvons témoigner de cette non-appartenance que par le refus, la littérature est « ce qui toujours nie » : « Pas de littérature sans méchanceté ».
Finalement, la littérature n’est rien d’autre que l’éloge de la traîtrise : « Quand un écrivain (un vrai) a du succès (ça peut arriver : apparence de consensus), c’est qu’il a réussi à obtenir d’un grand nombre de gens qu’ils trahissent (le temps de la lecture au moins) le reste du monde, leur famille, leurs liens du sang, leurs attachements ». La littérature est refus du monde.
- Ultima necat II, Philippe Muray, Les Belles Lettres, 582 pages, 33 euros.