Présenté en mai dernier à la Semaine de la Critique, le premier long-métrage de Pauline Loquès transforme le plomb en or. En évitant toute dramatisation artificielle, la réalisatrice chronique la dureté d’une vie qui se suspend, en prenant le pouls d’un protagoniste désorienté. Un film à fleur de peau qui laisse sans voix.

En trois minutes et à l’aune de ses 29 ans, la messe est dite. Nino (Théodore Pellerin) a un cancer du larynx. Sa vie bascule, et la nôtre avec. Souffle court, gorge serrée, déni de réalité ; pour lui qui n’a pas pour habitude d’être loquace et préfère souvent mâcher ses mots avant de parler, c’est le comble. Certes, tout ce qui atteint la gorge et la parole symbolise souvent les non-dits, les voix étouffées, les traumas passés sous silence ou refoulés. Pourtant, Pauline Loquès n’abat pas cette carte – trop facile à interpréter – mais la laisse en fond d’écran pour celleux qui voudraient voir y filer la métaphore. Rejetant tout autant l’option de l’ascenseur émotionnel, elle laisse la cage inoccupée et lui préfère le passage à vide. Avec pudeur et une délicatesse teintée d’humour, la réalisatrice saisit la fragilité de ce moment critique qui bouleverse tout un équilibre de vie. En ce vendredi matin pas comme les autres, le verdict tombe sans formes ni pincettes – moquant au passage l’absence d’empathie propre au corps médical. Alors que Nino vient seulement chercher les résultats de ses analyses et renouveler son arrêt maladie, il apprend que sa chimiothérapie commence dès le lundi suivant sans que l’oncologue n’ait pris le soin de lui annoncer qu’il était malade. Le stade est déjà avancé, il ne faut pas traîner. Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, Nino a trois jours pour collecter son sperme dans un petit pot de plastique cliniquement étiqueté – et qui le suivra comme une amulette tout au long du film – s’il souhaite laisser germer l’idée de devenir père un jour, une fois guéri. Mais qui peut jouir quand il sait qu’il va mourir ?
Ligne de flottaison
Vivre un moment de flux, c’est perdre le sens du réel, c’est onduler entre deux eaux pour y laisser voguer la conscience du temps. En perdant ses clés à l’hôpital, Nino y plonge malgré lui. En s’enfermant en dehors de son appartement, le voilà forcé d’exposer sa fragilité dans une errance au jour le jour, de porte en porte et de bras en bras. Appeler un serrurier n’est même pas une option, tant cet acte manqué compose l’intégralité du scénario et signe l’impossible retour chez soi après une telle annonce. Il ne peut pas faire comme si de rien n’était, se recroqueviller comme un escargot dans sa coquille pour fuir la réalité du dehors qui se passe en-dedans. Casanier, habitué à jouer plutôt qu’à vivre les rapports sociaux, ce pince-sans-rire mélancolique et déconnecté du monde n’a plus le choix. Il faut sortir de son habitat naturel, choisir l’urgence de vie quand celle-ci s’échappe. Mais Nino ne s’accroche pas au flux qui l’entoure, comme si sa maladie n’était que la face révélée d’une différence profonde dont il est en train de faire l’épreuve. En réinventant son rapport aux autres tout en essayant de rendre dicible ...