Dominique Fernandez © Grasset - 2014 / JF Paga
Dominique Fernandez © Grasset – 2014 / JF Paga

Le dernier roman de Dominique Fernandez, On a sauvé le monde, dépeint l’histoire d’amour de deux garçons entre l’Italie et la Russie des années 30’. Des révolutions politiques parallèles à des bouleversements intérieurs.  

2014
8 janvier 2014

Dans l’Italie fasciste, Romain, un jeune Français, arrive à l’Istituto d’Arte de Rome. Il vient y étudier les oeuvres de son peintre favori, Nicolas Poussin. Il découvre une jeunesse divisée en deux blocs: les fascistes voués à la gloire de Benito Mussolini, et les antifascistes inspirés par le nouveau modèle communiste. Les uns prônent le culte de la vitesse et du corps athlétique. A cette époque, le pouvoir fasciste interdit même les spaghetti des menus des restaurants. Les autres vivent dans l’ombre des persécutions d’une chasse aux sorcières de tous les instants.

Roman d’espionnage

Romain, rebaptisé Romano par ses camarades, se cache lui aussi. Il cultive une idylle secrète avec Igor, un jeune Russe blanc, émigré après la révolution bolchévique.

Cette histoire d’amour, ponctuée de débats artistiques, tourne au roman d’espionnage. Igor enquête en réalité sur le pouvoir fasciste, pour le compte des services soviétiques. Les deux amants deviennent des espions détenteurs des secrets de l’industrie italienne.

Rêvant d’une homosexualité libre, Igor et Romain émigrent en Russie, loin des préjugés de l’Occident. Mais leurs espoirs communistes s’avèrent déchus par la réalité de la dictature stalinienne.

Révolutions

Ce roman de Dominique Fernandez dépeint la notion de révolution. Révolution populaire en premier lieu, nationale dans l’Italie de Mussolini et prolétarienne dans la Russie de Lénine. Mais ce livre analyse surtout les bouleversements successifs de la conscience des deux protagonistes. Les deux amants forment le siège de révolutions intérieures.

Leur idéalisme politique cède sous le poids de la réalité qu’ils affrontent en Russie. Les terres de Lénine apparaissaient comme un eldorado, vues de Rome. Le Duce imposait un totalitarisme jusque dans la langue du pays. Dans le dictionnaire italien, le mot « homo », symbole de la « masse humaniste des sous-hommes », laisse place au mot latin « vir », qui représente le nouveau surhomme, exemple de virilité.

Pour Igor, la nouvelle Russie communiste incarne le progrès de l’humanisme. Les lois des Soviets rompent les inégalités entre les classes et consacrent les libertés des citoyens. Romain et Igor prennent conscience de l’illusion lorsqu’un de leurs écrivains préférés, Maxime Gorki, proclame la criminalisation de l’homosexualité: « elle doit être déclarée crime social et traitée en conséquence » écrit-il dans son article sur « l’humanisme prolétarien ».

Romain figure sa découverte du peintre Poussin comme une deuxième naissance

Le doute s’empare même de leurs représentations artistiques. Romain figure sa découverte du peintre Poussin comme une deuxième naissance. Il admire le don de l’artiste d’évoquer des thèmes universels à travers les références au monde antique. L’oeuvre de Poussin réussit à dire une chose tout en insinuant son contraire. L’étudiant, avant d’arriver en Italie, s’émerveillait devant le tableau Echo et Narcisse. Ce dernier représente la mort d’un jeune homme, sous l’apparence d’un simple repos.

Mais en Russie, Romain découvre le réalisme pictural. Il voit la valeur de son idole de jeunesse remise en question. Quelle utilité présentent toutes les références antiques des tableaux de Poussin pour le peuple du XXème siècle? « De quoi est fait mon plaisir en les regardant? » se demande Romain. « D’apprécier une belle peinture? Ou de me dire “comme tu es cultivé » . »

Dans ce roman, l’écrivain français organise la rencontre des deux pays et des deux cultures artistiques qu’il affectionne. Une passion faite de deux identités divergentes.

  • On a sauvé le monde, Dominique Fernandez, Grasset, 8 janvier 2014, 22 euros. 

Alexandre Poussart