Ovidie fait partie des voix qu’on a envie d’entendre et qu’on prend plaisir à lire. Sa pensée est radicale. Son discours est limpide. Elle vise toujours juste, dans une sorte d’effet coup de poing, tantôt Parques tissant patiemment le fil de son œuvre, tantôt Cassandre révélant des vérités qu’on n’est pas encore prêt à entendre. Après son premier roman, La chair est triste hélas, dans lequel elle se livre sur sa grève du sexe avec les hommes, elle publie Assise, debout, couchée, un essai autobiographique où elle défend l’idée d’une convergence des luttes entre les chiens et les femmes.
Tout part d’une collection, « Bestial »(JC Lattès), fondée en 2022, par Clara Dupont-Monod et Isabelle Sorente. Le principe est simple : demander à des auteurs d’écrire leur autoportrait à travers leur animal fétiche. Pour Ovidie, se raconter à travers les chiens de sa vie était une évidence. Dans une interview accordée au média Simone, elle reconnaît elle-même que ses deux sujets de conversation favoris sont les chiens et le féminisme, et le lien entre les deux n’est pas fortuit.
Depuis son enfance, les chiens la protègent. À dix ans, elle sort toujours accompagnée d’un « gros montagne des Pyrénées », Eddy, lorsqu’elle part acheter des barres chocolatées à l’épicerie du village. Sa mère le lui ordonne, sur un ton qu’on imagine mi-affectueux, mi-inquiet : « Prends le chien avec toi ! ». Comme Ovidie le rappelle, à cette époque, en 1990, « on ne connaît pas encore les macabres noms de Marc Dutroux, Michel Fourniret ni Emile Louis ». Le danger n’est pas nommé explicitement. Il prend la forme d’un avertissement sibyllin « “Prends le chien avec toi !” Au cas où. » Dix ans après, la notoriété acquise par son statut de star du X la confronte directement à la « dangerosité de la violence masculine ». Des mecs l’arrêtent dans la rue et la suivent parfois jusque chez elle. Elle se retrouve « confrontée à une image publique qu’[elle] ne contrôle plus » et sent la nécessité de trouver quelqu’un qui la « défende des stalkers et des érotomanes ». Ce sera Raziel, un bulldog anglais imposant à l’allure flegmatique. Il accompagnera Ovidie dans sa phase de « déshabillage », qui la contraint à se produire seule dans des shows en boîte à travers la France, et la protègera très concrètement de ceux qu’on ne nomme pas encore des prédateurs. C’est le premier pacte tacite qu’Ovidie passe avec les chiens, sans savoir qu’elle perpétue alors une alliance millénaire.
Si l’on sait tous que le chien est le plus vieil ami de l’homme — depuis au moins 15 000 ans — on sait moins qu’il a dès le départ été l’allié des marginaux et des plus vulnérables, notamment des femmes. Ovidie remarque que le chien a « très tôt été assigné au foyer » et « aux basses besognes » au même titre que les femmes. En étant cantonnés à la sphère du foyer et aux activités domestiques, les femmes et les chiens ont été réunis dans une condition commune. Ovidie constate alors que « c’est avec les femmes qu’il [le chien] a développé un lien particulier fondé sur l’empathie », c’est-à-dire sur un acte de reconnaissance mutuelle. Elle suggère ainsi que le chien a été, pour les femmes, un semblable au sein du foyer, leur donnant accès, ne serait-ce que de façon implicite, à leur condition d’individus exploités. Il laisse également entendre que la présence du chien a pu favoriser et soutenir le récit de soi dans des contextes de vulnérabilité.
Quand le chien devient un marqueur biographique
Les chiens, par son intermédiaire, révèlent ainsi leur rôle de marqueur biographique
En 2002, Ovidie décide de se faire tatouer sur la cheville le même tatouage que Raziel, à savoir son numéro d’immatriculation auprès de la Société centrale canine. Elle explique : « C’est fort laid mais je veux le même pour garder sa trace à jamais. Porter le même numéro que lui est une promesse d’éternité ». Plusieurs années après, elle tombe sur les travaux de l’anthropologue et maître-chien, Christophe Blanchard, qui mettent en évidence le rôle joué par les tatouages et les morsures dans la construction de l’identité. Christophe Blanchard relève par exemple que les punks à chien et les militaires cynotechniciens, qui n’ont a priori pas grand-chose en commun, ont l’habitude de se faire tatouer leur chien ou tout autre élément lui faisant directement référence. Il observe ainsi que « par l’intermédiaire d’un chien ...