Le centre Pompidou propose jusqu’au 18 avril une rétrospective du travail d’Anselm Kiefer. C’est déjà la troisième que connait ce septuagénaire, hanté par le spectre du nazisme et dont les oeuvres semblent habitées par la destruction.
En 1965, âgé de vingt ans, Anselm Kiefer soumet son projet de fin d’études à l’Académie de Karlsruhe: une série d’autoportraits dans lesquels on le voit effectuer le salut nazi, vêtu de l’ancien uniforme de guerre de son père. C’est un tollé général et sa démarche, énigmatique car dépourvue de discours extérieur à l’oeuvre, est prise pour une apologie.
Comment le nazisme a-t-il pu saisir une nation entière? Y a-t-il une culture, une « identité » allemande qui aurait permis cette folie? Le cas échéant, a-t-on toujours le droit en tant qu’allemand de s’exprimer artistiquement? Comment?
L’épaisseur des ruines
Ces questions influencent l’oeuvre entière de l’artiste qui, à l’instar de toute sa génération, hérite d’un pays où la terre est calcinée et l’Histoire taboue.
Il s’inspire alors des ruines dans lesquelles il a grandi pour mettre en évidence la nature même de celles-ci: face au silence de ses contemporains, il faut montrer que ceux qui ont détruit, tout autant que ce qui a été détruit, n’ont pas été subitement rayés de la carte. Il faut les réactiver, les questionner. Pour cela, touts les moyens sont bons et la rétrospective les met habilement en scène: photos, toiles monumentales ou moyens formats, vitrines, installations. L’exposition est organisée autour des différents thèmes qui marquent son travail: l’architecture, la poésie, les mythes fondateurs…Qui sont autant de pistes de lectures de la Seconde Guerre mondiale.
Il contribue néanmoins de façon indubitable à l’ébauche d’une réflexion, sinon d’un témoignage, sur la Seconde Guerre mondiale, ce qu’elle dit de l’homme, ce qu’elle dit de l’art.
Les toiles de Kiefer sont à l’évidence sombres, mais aussi très épaisses- il semble qu’à tous les sens du terme, le peintre refuse de représenter quoi que ce soit de lisse. Les champs désolés sont composés en aplat de peinture à l’huile et beaucoup d’objets viennent compléter la toile: livres peints, ferraille, brindilles…Des mots sont aussi inscrits, souvent même des noms propres, particulièrement ceux des intellectuels allemands du XIXème siècle. Pour Kiefer (et nombre de théoriciens) les représentants du romantisme allemand seraient responsables d’un exaltation de l’identité nationale qui évoluerait un siècle plus tard en national-socialisme.
Dans une toile de 1976, ironiquement intitulée « Chemins de la sagesse du monde » (Wege der Weltweisheit), Kiefer représente certaines des grandes figures du XIXème siècle: Clausewitz, Fichte, Hölderlin, Klopstock…Ils sont répartis autour d’un feu, symbole de connaissance et de destruction, et liés les uns aux autres par des traits: aucune parole n’est sans écho.
L’art est ainsi capable de tout pour Kiefer: du meilleur comme du pire. Cette ambivalence se retrouve dans beaucoup d’autres aspects de son travail, secondée parfois d’une profonde irrévérence, ce qui explique qu’il ne fasse toujours pas l’unanimité. Il contribue néanmoins de façon indubitable à l’ébauche d’une réflexion, sinon d’un témoignage, sur la Seconde Guerre mondiale, ce qu’elle dit de l’homme, ce qu’elle dit de l’art.
- Anselm Kiefer, 16 décembre 2015- 18 avril 2016, Centre Pompidou, Paris.