Lors de la 57ème édition du Festival OFF d’Avignon, le théâtre 11 marque encore une fois avec une programmation qui interroge sur la norme, questionne notre rapport à l’autre et aborde les sujets du handicap avec beaucoup de poésie. Zone Critique avait chaudement recommandé Personne n’est ensemble sauf moi de Clea Petrolesi (lire notre article), nous vous recommandons maintenant tout aussi chaudement Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu de Laura Mariani.

Une pièce de contraste

La maïeutique vers la compréhension d’un ailleurs, se fait très finement, dans une grande intériorité, et notamment par l’utilisation très pertinente de la mise en contraste.

Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu nous fait traverser la crise identitaire de Claire (Pauline Cassan), jeune femme autiste passionnée de l’émission “To be a Star”. Un jour, en l’absence de son frère Raphaël (Anthony Binet), un voisin s’invite chez elle et la force à une étreinte, elle répond dans un excès de violence et commet l’irréparable. Commence alors le tourbillon des analyses en préparation du procès – quel est le trouble de Claire ? Est-elle victime ou coupable ? Est-elle normale ?

La situation initiale permet de tisser une œuvre très fine et extrêmement bien construite où chaque chose est à sa place. Au delà de l’évolution de l’enquête et le besoin d’un diagnostic psychiatrique pour le procès, la pièce nous emmène ailleurs et nous pousse à nous interroger sur nos systèmes et notre rapport à la norme. Cette maïeutique se fait très finement, dans une grande intériorité, et notamment par l’utilisation très pertinente de la mise en contraste.

Bien souvent, Claire met à mal des discours ampoulés et administratifs du corps médical, de la police, des avocats… Ses questions extrêmement simples et laser coupent court à des dialogues parfois absurdes et sont un rappel immédiat à ce qui compte vraiment. Le discours de cœur pour Claire est sans limite, elle n’a de cesse de revenir sur ses essentiels : l’émission “To be a Star”, l’amour naissant pour l’infirmier Antoine, et laisser des messages sur le répondeur de sa mère.

Pourtant la réalité de son acte ne peut lui permettre d’y échapper. Bien souvent, les personnages qui dialoguent avec Claire se retrouvent démunis, comme lors de son interaction avec Antoine interne dans l’hôpital psychiatrique où elle est placée le temps du jugement. Elle lui demande pourquoi il est seul ? Pourquoi il n’a pas d’enfant ? Parce qu’il n’aime pas les enfants ? Si ? Alors pourquoi ? Parce que c’est la faute de la nature, elle est con la nature alors. Tout comme Antoine, nous sommes désarçonné.e.s par cette jeune femme, son authenticité, ses joies, ses inquiétudes qui nous touchent profondément.

(c) Clemence Demesme

Une superbe incarnation

L’art dramatique permet d’autant plus cette rencontre et devient un lieu de représentation idéal pour nous emmener dans une autre perception du monde.

Pauline Cassan est troublante par la justesse et la puissance de son jeu. Si on peut rapidement se questionner sur l’incarnation d’une personne autiste par une personne valide, le résultat est extrêmement sincère, respectueux et dans la continuité du fil de pensée artistique de Laura Mariani. La metteuse en scène a longuement dialogué et travaillé avec des personnes autistes, des éducateur.ice.s, des psychiatres et notamment avec Josef Schovanec, qui se décrit comme philosophe, écrivain français et voyageur autiste, militant pour la dignité des personnes autistes. Il pense l’autisme comme une différence, une façon d’être, une personnalité.

Dès lors, l’art dramatique permet d’autant plus cette rencontre et devient un lieu de représentation idéal pour nous emmener dans une autre perception du monde.  Nous donner à voir et à penser autrement. Nous sommes sans trop nous en rendre compte dans un état empathique profond, où tout du long nous avons nos émotions très disponibles, car à fleur de peau.

(c) Clemence Demesme

Être enveloppé d’émotions

Nous sommes plutôt comme enveloppé.e.s de sentiments, sans mise en drame, mais entouré.e.s d’une douce pellicule d’émotions, comme une caisse de résonnance où vibrent plusieurs réalités

Les sentiments provoqués sur scène et qui se répercutent en nous, ne nous amènent pas dans un pathos malvenu ou un tire-larmes spectaculaire, contrairement à l’émission télé-crochet qui obsède Claire “To be a Star”. Nous sommes plutôt comme enveloppé.e.s de sentiments, sans mise en drame, mais entouré.e.s d’une douce pellicule d’émotions, comme une caisse de résonnance où vibrent plusieurs réalités. Ce choc de réalités est toujours fait en finesse. Pas exemple, quand Claire laisse des message vocaux très poétiques sur le répondeur de sa mère, ils prennent une toute autre ampleur lorsque nous apprenons le décès de cette dernière. Le vocal suivant que Claire lui laisse, alors que nous détenons cette fois-ci l’information qu’il ne sera pas entendu, nous noue un peu le ventre, et nous connecte un peu plus profondément avec nos sentiments. Tout au long de la pièce, nous avons comme un voile d’émotions sur la pupille qui s’intensifie, et nous fait mettre le cap vers un beau moment d’être ensemble, d’intelligence et de théâtre.

Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu est une pièce virtuose où nous sommes amené.e.s  par des procédés artistiques d’une grande finesse, à éprouver, être en empathie et voir un ailleurs, une différence et surtout une profonde humanité.

  • Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu  de Laura Mariani avec Pauline Cassan, Anthony Binet, Sylvain Porcher, Odile Lavie, Alice Suquet et Vincent Remoissenet du  7- 26 JUILLET à 16h40 Relâches les jeudis 13 et 20 juillet au 11 Avignon
(c) Clemence Demesme

Crédit photo : (c) Clemence Demesme