Geoffroy de Lagasnerie, professeur habitué des chaires audiovisuelles publiques, publie cet hiver Se méfier de Kafka. Dans cette mauvaise homélie, il prend pour prétexte la vision kafkaïenne de la justice afin d’enjoindre la littérature, trop subjective d’après lui, de se soumettre à la sociologie.

Geoffroy de Lagasnerie

Piètre sermon que celui commis par Monseigneur Geoffroy de Lagasnerie.

Ce n’est certes pas la première fois qu’un bigot nous met en garde contre la littérature. Car, disons-le dès à présent, le sujet de ce livre n’est ni Kafka, ni la justice — traités l’un comme l’autre avec une médiocrité confondante. Le sujet de ce livre, l’objectif de cette homélie, c’est de soumettre l’art et la subjectivité à la science — dite objective — de la sociologie ; c’est de rappeler à l’individu soucieux d’évoquer son expérience personnelle qu’il convient pour cela de la voir ratifier par un fonctionnaire de la Vérité, dûment appointé par l’Etat.

Dès les premières pages, notre vigilant berger des âmes annonce la couleur : « Je voudrais montrer que, si nous devons nous méfier de la séduction qu’exercent sur nos esprits les textes kafkaïens, c’est parce qu’ils ont très largement tendance à ratifier, renforcer, légitimer des formes mystifiées d’appréhension du pouvoir et de l’Etat. » En mettant en scène les dédales d’une justice absurde, Kafka serait conservateur : en effet, d’après notre prélat, la Loi ne serait pas mauvaise lorsqu’elle est arbitraire, mais elle serait toujours mauvaise — esprit de nuance quand tu nous tiens ! Et c’est ce caractère intrinsèquement oppressif de toute loi que masquerait le romancier en construisant « comme négatif l’absence et l’incohérence des Lois » . 

En décrivant l’expérience terrifiante d’un pouvoir anomique, l’écrivain tchèque forgerait des représentations « monstrueuses », et voilerait la réalité du système oppressif tout à fait rationnel que serait la Justice. Car seul le sociologue est à même de comprendre la réalité du système pénal : « ces affects [par lesquels nous nous identifions aux personnages des récits de Kafka] expriment le ressenti abstrait de sujets individuels. Ils soutiennent une appréhension du monde qui s’opère à partir d’un point de vue subjectif, qu’une analyse sociologique de la logique objective des systèmes de pouvoir conduit à mettre en question. Si nous devons nous méfier de Kafka, c...