Dans Une enveloppe silencieuse, publié aux éditions Alcyone, la poétesse helvète Anna Jouy nous enchaîne à son rythme où la polysynodie s’achève dans un radieux silence, enfin. On n’a jamais envie qu’elle ferme le ban. On a plaisir à reprendre son refrain : « le souvenir est le petit oratoire de la mélancolie » ! On pourrait presque vivre en Suisse en exilé poétique !

Anna Jouy n’aime pas les hélas ! Dans sa préface de 1671 sur Bérénice, Racine s’interroge ironiquement : « Et que répondrais-je à un homme qui ne pense rien, et qui ne sait pas même construire ce qu’il pense ? ». Puis déroulant sa verve, il moque les « hélas de poche » et ceux qui louent « très injustement d’une grande multiplicité d’incidents ». Racine aurait pu tout aussi bien railler les vers en formica de nos contemporains qui versifient dans le vintage, et dont les hélas ont l’allure du ressemelage et de la vespasienne.

Les poètes sont rares. Ils sont presque inexistants. À côté, le dahu semble surnuméraire.

Il ne suffit pas de gazouiller ou d’avoir une queue-de-cheval en ayant l’air évaporé – l’évaporation se règle tant sur l’encre sympathique que la plupart de ce qui s’écrit est invisible à l’œil nu -, encore faut-il saisir que la poésie est une charge, parfois même une cargaison qui nous invite à repenser la liberté comme dureté, et non comme l’effet d’une disposition législative. Alors que les acteurs, les réalisateurs, les romanciers, les philosophes du « mesdemoiselles mes règles » (de lieu, de temps et d’espace selon Racine) s’attardent sur leurs introspections uro-génitales avec l’air savant de qui disserte sur la physique quantique appliquée aux trous noirs, les poètes ne sont jamais invités à donner leur avis. Le monde apparent des « faits », des manigances moimoïennes ne sont pas pour eux puisqu’ils sont les seuls à voir le monde tel qu’il est, c’est-à-dire un univers occasionnel. Dans ce monde où personne ne se targue de quoi que ce soit, il n’y a pas de voisinage, même de Dieu. 

...