D’abord, il y a les recueils : Cristina, publié par les Éditions Le Réalgar et préfacé par Alain Borer (réédition juin 2023) et Rien, le ciel peut-être (Éditions sans escale), lauréat du prix Méditerranée poésie 2024, qui se distinguent par une poésie en prose et l’originalité de leur sujet. Puis vient le temps du roman, celui de Matériau Maman (Éditions de Corlevour, 2024), qui permet à l’autrice d’explorer une narration dérangeante au plus proche de l’autobiographie. Dans ce livre brillant et incarné, Paloma Hermina Hidalgo explore sans retenue les thèmes de la folie, du rapport à la mère et du dérèglement des corps avec une intensité dérangeante. Cette approche sans concession imprime une force brute et une profondeur qui marqueront durablement les lecteurs et ceux qui ont assisté à la lecture musicale qu’elle a donnée à la Maison de la Poésie en avril 2024.

Lorsque disparaît sa mère adorée, Nieve, 11 ans, est internée de force et hospitalisée à l’hôpital Sainte-Anne. Pour tenir le coup, Nieve invente et croise sur sa route une galerie de personnages qui l’aident à composer avec sa peine. D’abord, il y a Svet, patiente qui se révèlera par la suite amie imaginaire, puis les bribes de souvenirs qui s’entremêlent : avec Cara, avec Mémé, devenue trop vieille, avec Pablo, amant régulier de maman, et bien sûr avec sa mère morte :  « Son âme n’est pas encore montée au ciel. Je pourrais lui dire mon poème ? (..) Visage de maman cousu par trois fils. »

C’est dans cet univers froid et carcéral, que Nieve, forcée de quitter trop vite l’enfance, se perd dans un dédale de perceptions fluctuantes : 

« Le soir même, dans mon lit d’hôpital, l’ombre de l’armoire, est comme ces spectacles d’Orient portée au mur : un perroquet faisant silhouette. Et quand la certitude d’être seule excite mon souvenir, je revois tourner autour de moi le mobile d’oiseaux de mon enfance. »

À l’hôpital, les sensations de Nieve sont décuplées. Dans ce texte, Paloma Hermina Hidalgo convoque mémoire individuelle et souvenirs éloignés tout en laissant une grande place à l’expression des sens.

À mesure que le récit avance, la petite Nieve, nourrie par ses fantasmes, s’enfonce toujours plus loin dans un monde troublant où les limites entre réalité et illusions s’étiolent. Le récit plonge dans une aura de mystère et d’inquiétude palpable, qui n’est pas sans rappeler un peu de la Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim, où l’enfant abusée et traumatisée par la mort de sa mère, finira par trouver loin de Sainte-Anne une forme d’apaisement : « Je vais bien Maman, loin de Sainte-Anne. »

Dans ce texte, Paloma Hermina Hidalgo convoque mémoire individuelle et souvenirs éloignés

Matériau Maman : au nom de la mère

Mais Matériau Maman, est bien plus qu’un livre sur la mère. C’est un livre qui explore les multiples dimensions de l’identification maternelle, la limite et l’ambiguïté des souvenirs qui la sous-tendent. La mère devient, chez Paloma, une créature mythologique aux nombreux visages : tantôt reine : « Maman m’offre un visage de Madone (…), Maman je l’adore d’être si belle (…) », tantôt pute : « Maman séductrice (…) Ta mère c’est une pute à deux-balles », tantôt créature mythologique : « Maman rivale de Vénus et fervente de son astre ». Le texte se déploie dans une langue neuve où la violence est parfois exprimée dans sa totale brutalité. Et si les thématiques de l’inceste ne sont pas directement mentionnées au lecteur, elles sont à plusieurs reprises suggérées : « Jamais, personne ne me touchera comme Maman me touchait  » (Matériau Maman), « Je te magnifierai, Maman, si tu me donnes la main – mais quel crime t’enseigne à m’offrir ces lèvres, à darder en alliance ta bouche de tribade ? » ( Rien le Ciel, peut-être).

Le rapport à la mère est organique, presque saphique et prend la forme d’un Œdipe inversé qui peut dans une certaine mesure rappeler les rêves tourmentés d’Unica Zürn et le rapport pulsion-répulsion à la mère :  « Je ris nuque offerte à maman », « Trace nos noms sur le sucre, entre les baies, les amours en cage. MAMAN + NIEVE = AMOUR ». 

La phrase « Ta mère :  ton matériau. Fais-en un conte », est soufflée à la jeune femme à la fois, victime et sujet du roman, comme une tentative pour réparer l’enfance blessée. 

Lecture musicale : expérience totale à la Maison de la Poésie

Ce sont ces mêmes fragments de textes, extraits du roman Matériau Maman, que Paloma Hermina Hidalgo a choisis pour une lecture musicale accompagnée par Lola Malique, sur la (petite) scène Lautréamont de la Maison de la Poésie. 

Fidèle au motif pirandellien de la folie et du trouble de l’identité, elle joue et campe tous les rôles, nous faisant parvenir d’une seule voix entre onirisme et épouvante :  l’enfance, Sainte-Anne, et surtout la Mère, exerçant une influence oppressante sur la fillette, la conduisant invariablement vers la mort à plusieurs occasions : « Reste, ma neige, reste  »,  « Dors, (..) dors tout un siècle pour que j’aie la paix. » 

Sur scène, Paloma Hermina Hidalgo incarne son personnage avec passion, n’hésitant pas à mimer la folie – à plusieurs reprises, elle se contorsionne, se frappe la tête, crie et émeut le spectateur de sa voix tremblante, dans une théâtralité maîtrisée. 

Dans sa représentation, la déshumanisation et l’isolement forcé de l’hôpital psychiatrique ne sont en rien édulcorés. Condensés dans une représentation de moins d’une heure, ils se trouvent au contraire renforcés, ce qui permet à Paloma Hermina Hidalgo de souligner la cruauté d’une enfance volée.

« Tu les gobes tes cachetons ? Tu as déjà bien de la chance d’être en France. Ailleurs avec tes tares on te lapiderait (..) Si tu ne veux pas perdre ta came, laisse au moins passer les autres et ferme ta gueule », rappelle à l’enfant le personnel hospitalier. 

La récitation devient jeu et ne laisse rien au hasard. Au contraire, chez Paloma, tout est maîtrisé : les mouvements du texte performés laissent place à la justesse des mouvements de Lola Malique qui accompagnent l’autrice, sans pour autant étouffer le texte. 

Lecture de Matériau maman

Sans forcer le trait du récit, et toujours avec une profonde justesse dans le propos, violoncelle et texte lu se superposent dans leur narration, pour nous raconter une histoire aux allures de conte cruel, dont le motif principal reste l’obsession à la mère.

  • Matériau Maman, premier roman lauréat du Centre National du Livre en 2021, Éditions de Corlevour, janvier 2024.
  • Crédit photo : © Jean-Yves Reuzeau.