Au moment de la Seconde Guerre mondiale naissent trois cousines qui chacune incarne une manière d’être maorie à une époque où ce peuple était vu par les Blancs comme une mauvaise herbe à éradiquer. Ce roman de 1992 est publié en français pour la première fois par les éditions Au vent des îles dans une traduction superbe, vivante, chantante et heurtée de Jean Anderson et de Marie-Laure Vuaille-Barcan.
Unitaire et fragmentaire
La communauté maorie est au cœur de ce roman aux multiples facettes. Vue par plusieurs points de vue qui convergent et offrent un plan d’ensemble, elles sont autant de pièces de puzzle qui forment un motif précis et sensible tout en gardant leur individualité. Patricia Grace divise son livre en six parties – deux pour chacune des cousines qu’elle évoque, toutes nées aux alentours de la Seconde Guerre mondiale.
Il y a Mata, la métisse orpheline de mère et arrachée à sa famille maorie, seule, rêvant de quelqu’un « pour l’aimer bien » ou « pour de vrai », peut-être un homme laid, le seul dont elle pense mériter l’attention. Il y a ensuite Makareta, l’élue, celle qui est protégée, élevée par sa grand-mère pour être mariée et réunir deux familles. Elle est éduquée dans un pensionnat, bénéficie d’une attention étouffante, mais elle est séparée de sa citadine de mère qui, pourtant, est celle qui la raconte, qui décrit quelle enfant responsable et éveillée elle était. Finalement, il y a Missy, chargée de bien trop de tâches dès son plus jeune âge, maternant ses frères et sœurs à la place de sa propre mère à la santé fragile et aux humeurs vacillantes.
Mata la timide, la mal-aimée. Makareta la brillante, la prodigue. Missy la vaillante, l’incarnation du devoir.
Plusieurs filles, plusieurs langues
Les trois premières parties introduisent ainsi ces trois filles qui deviennent femmes, la narration à la troisième personne étant parfois interrompue par un flux de conscience déconcertant qui donne à entendre les pensées des protagonistes, leur incertitude, leurs sentiments confus. Des phrases non-verbales se glissent dans le récit, le rythment et lui offrent sa singularité qui est aussi celle des héroïnes. Dans leur enfance, elles ne se retrouvent qu’une fois ensemble, un événement raconté trois fois pour permettre une superposition des points de vue, le lecteur percevant différemment le cadre et les personnages à chaque occurrence. Puis viennent la vingtaine, la trentaine et ce qui suit, années vécues si différemment par chacune. Ces décennies passent en un éclair, cette fois majoritairement racontées à la première personne, la deuxième moitié du roman basculant lui aussi dans une sorte d’âge adulte. Mata, Makareta et Mi...