En ce début d’été propice aux réouvertures de salles, l’équipe de Zone Critique Théâtre vous invite à un tour d’horizon sous le signe de la musique. Toute la semaine, nous découvrirons les multiples visages de la création théâtrale qui se fait en, avec, sur, autour de la musique.

Première étape : le Nouveau Théâtre de Montreuil, avec un concert nommé paysage.

Avec la présence de Mathieu Bauer à sa tête, le Nouveau Théâtre de Montreuil s’impose comme une référence dans le paysage théâtralo-musical en Île-de-France. A côté de structures comme la Pop, les Bouffes du Nord ou le Théâtre de l’Aquarium, Mathieu Bauer décline une programmation étonnante, novatrice, à l’image de son univers de musicien/metteur en scène. Le festival « Mesure pour Mesure », programmé/annulé/reporté/bouleversé, voit enfin le jour sur les planches de Montreuil en ce joli mois de juin qui sent bon le monde d’avant. L’occasion pour la rédaction de Zone Critique d’explorer sa programmation en commençant par la dernière création de Josse de Pauw, figure de la scène flamande : A concert called landscape.

La forêt des souvenirs

Le paysage mémoriel se construit par le son.

Josse de Pauw entre sur scène comme on entrerait dans un grenier de son enfance : la scène encombrée de morceaux de bois de différentes tailles, entassés dans les coins, semble un débarras dont la poussière est prête à être remuée pour faire lever des fantômes. D’ailleurs l’acteur passe son temps à planter ces arbres tordus dans le sol, tout en parlant… avec leurs membres dressés dans des directions aléatoires, ils semblent presque expressifs, entre la forêt de conte et l’atelier encombré de tasseaux. Et nous sommes bien dans un atelier où l’on fabrique notre matériau au fur et à mesure : monologue musical, concert avec texte, lamentation, exhortation, improvisation, le texte est façonné par la musique et réciproquement, le paysage mémoriel se construit par le son.

Faire

Josse de Pauw nous parle de son grand-père, « facteur », c’est-à-dire celui qui fait, qui trouve, qui récupère, répare, réhabilite, qui ne jette rien et transforme, un vrai « poète » au fond, capable de saisir dans toutes choses la beauté au-delà de l’utilité. Et c’est bien dans le « faire » que réside, me semble-t-il, l’intérêt de la présence des musiciens au plateau, en l’occurrence un trio de jazz expérimental mené par le pianiste Kris Defoort : le faire ensemble, le faire avec, l’élaboration d’un discours commun qui se nourrit mutuellement d’impulsions, de mouvements, de questions-réponses. Dans de telles rencontres scéniques, l’espace est ouvert pour prolonger l’imaginaire du récit, et le mot de « paysage » n’y est pas étranger : le paysage sonore crée des mondes en soi, sur la foi d’une cellule rythmique répétée, d’un fragment mélodique ou de boucles atmosphériques qui portent la voix de l’acteur jusqu’à la psalmodie d’un conteur/canteur…

Coudre

L’improvisation jazz et le récit intime tissent ensemble des éléments étrangers en apparence.

Rhapsode est celui qui coud ensemble des morceaux lyriques, épiques, dramatiques, pour en faire un long poème, celui qui sait voir le lien entre les choses tombées au sol. L’improvisation jazz et le récit intime, l’air de rien, tissent ensemble des éléments étrangers en apparence, grâce au fil du trio présent au plateau durant tout le spectacle. Entre toutes ces reliques de la mémoire, du grenier de l’enfance en passant par les tournées à vélo du facteur, mais aussi les paysages d’Amérique latine, les fantasmes d’ailleurs, et même jusqu’au cosmos, nous sommes discrètement conduits par l’oreille. C’est en cela, me semble-t-il, que réside l’aspect fondamentalement musical de telles propositions scéniques… Donner forme à l’informe, nous mener dans le labyrinthe, et offrir aux objets épars et sans vie de notre passage au monde une silhouette sensible. Le récit pénètre alors par les pores, les oreilles, les yeux et le cœur, il s’incarne et s’élargit, aussi grand que l’univers.

  • A concert called landscape, conception et texte de Josse de Pauw, avec les compositions originales du Kris Defoort Trio