C’est une véritable tragédie. Le nouveau film d’Emily Atef met en scène deux amants condamnés à la séparation par la mort inévitable de l’un d’eux. Comme dans les tragédies classiques, la folle histoire d’amour de Mathieu et Hélène est frappée dès le début de l’intrigue par une fatalité implacable, que toute la volonté du monde ne pourra réussir à contrer.
D’une grande pudeur, Plus que jamaisrompt avec la tonalité généralement choisie dans les œuvres qui traitent de la fin de vie d’un personnage. Ici, pas d’agonie en robe blanche dans les draps jaunes de l’hôpital, pas de pathos ni de grand discours : c’est dans la vie même, et dans la complexité du quotidien, que se joue la disparition progressive du personnage condamné. Le spectateur est immédiatement amené à considérer les faits du point de vue d’Hélène, une jeune femme mariée, active et amoureuse qui sait qu’elle va mourir parce qu’elle est atteinte d’une maladie pulmonaire rare et incurable. Atef ne laisse planer aucune hésitation sur la capacité d’Hélène à être sauvée, même si l’espoir subsiste parmi ceux qui l’aiment et l’entourent. Il s’agit ici de comprendre comment peuvent cohabiter dans un même espace et dans une même histoire les mourants et les vivants. Le film est donc d’emblée une histoire de séparation, puisque malgré l’amour que déploie son mari à son égard, il ne peut pas partager l’état qui est celui d’Hélène. Il ne peut pas habiter son corps meurtri et en éprouver avec elle les limites et Plus que jamais de décrire la solitude inhérente à la maladie, si puissante qu’elle sépare ceux qui s’aiment avant que la mort ne le fasse.
Plus que jamaisest un film juste à tous égards, et notamment dans le traitement qu’il fait de la nécessité pour la personne mourante de s’arracher à celui qu’elle aime
L’invitation au voyage
Partir : tel est le grand projet du personnage principal du film, projet à la fois consenti lorsqu’il s’agit de quitter Bordeaux et un cercle d’amis bourgeois incapables d’appréhender la situation d’Hélène – « on a réservé un petit chalet dans le Jura » – pour gagner les paysages norvégiens, ; projet subi en ce qui concerne le voyage définitif auquel Hélène est condamnée. Vicky Krieps, par la sobriété de son interprétation, par sa retenue, donne à ce film toute son envergure, là où il aurait pu basculer du côté d’un énième drame larmoyant. Plus que jamais est un film juste à tous égards, et notamment dans le traitement qu’il fait de la nécessité pour la personne mourante de s’arracher à celui qu’elle aime, interprété par Gaspard Ulliel dont la disparition tragique résonne dans l’esprit du spectateur. Il s’agit pour Hélène de quitter ce qui lui est familier pour pouvoir se retrouver, loin de la bruyante communauté des vivants, loin d’un quotidien qui n’est plus rien qu’un miroir tendu vers tout ce qu’elle s’apprête à perdre pour toujours. Le film est construit en deux parties, chacune centrée autour d’un espace géographique précis : il y a d’un côté la ville, Bordeaux, le quotidien, là où Hélène est la malade, la mourante parmi les vivants, et puis il y a la Norvège et ses paysages infinis, où Hélène malgré sa faiblesse décide de se rendre seule. Elle y rejoint un certain « Mister », Bent de son vrai nom, un homme d’un certain âge avec lequel elle échange régulièrement depuis qu’elle a découvert son blog, sur lequel il raconte avec humour sa longue maladie, ses traitements, sa solitude face à une mort possible. C’est lui qui, lors d’un de leurs appels, lui dira cette phrase qui contient tout le propos du film : « les mourants ne peuvent pas comprendre les vivants ». C’est pourquoi Hélène décide d’aller habiter quelque temps chez lui, en Norvège. Lui seul a fait l’expérience de ce qu’elle traverse. C’est alors que ce qu’elle dit et ce qu’elle ne dit pas, ce qu’elle voit et ce qu’elle ressent, retrouve enfin un sens.
L’amour moins fort que la mort
Comment continuer à vivre quand on sait que l’on va mourir, et surtout pourquoi ? Le film répond à cette question en entremêlant à l’histoire d’une mort annoncée une histoire d’amour, qui malgré sa puissance et sa solidité, ne peut pas vaincre la maladie. Dans la fragilité de son souffle, et dans l’attention que lui porte son mari, on retrouve parfois quelque chose de Colin et Chloé dont les poumons sont attaqués par un étrange nénuphar dans L’écume des Jours de Boris Vian, et cette détresse amoureuse, à la fois sublime et ridicule, face à la mort qui se profile incontestablement. Mais la maladie d’Hélène est source de conflit entre elle et son mari : le spectateur se trouve constamment pris en étau entre la position d’Hélène, qu’il suit dans ses silences, ses contemplations, et le point de vue de Matthieu, sa volonté de fer, son envie de voir Hélène guérir, se reposer, aller à l’hôpital, accepter une greffe, tout essayer. Pris entre deux égoïsmes, entre l’abandon de l’un et l’agitation de l’autre qu’il ne peut qu’entendre et comprendre, le spectateur peine cependant parfois à compatir véritablement – au sens de souffrir avec – tant les émotions qui traversent les personnages sont liées à l’exceptionnalité de la situation qu’ils traversent ensemble, et dont le spectateur, lui, ne fait pas l’expérience. Néanmoins, la conclusion du film dans laquelle Mathieu et Hélène, parce qu’ils s’aiment, acceptent de partir chacun de leur côté, pendant quelques minutes où aucun mot n’est échangé, où les deux personnages s’effleurent et se regardent jusqu’à ce que le bateau qui ramène Mathieu en France quitte la Norvège, nous permet de ressentir in extremis le bouleversement qui habite les deux personnages, et de l’habiter avec eux.
Plus que jamais, un film d’Emily Atef, avec Vicky Krieps et Gaspard Uliel, en salles le 9 novembre.
Justine Massadau