Dans son dernier livre, Plus rien que les vagues et le vent, Christine Montalbetti écorche nos clichés et nos idées reçues sur la Côte Ouest des États-Unis, et fait se déployer toute la fascination que peut exercer l’océan, qui nous berce de son mystère.
C’est à Cannon Beach sur la Côte Ouest des États-Unis que se déroule le récit. C’est à travers les yeux d’un français fraîchement arrivé que l’histoire débute. Un étranger, dont on ne connait ni le nom ni l’histoire, se retrouve dans cette petite station balnéaire, presque déserte hors saison. Une proximité est instaurée directement avec le lecteur, des interpellations successives, le « vous » comme un dialogue avec ce dernier. Quelques précisions lui sont mêmes destinées entre parenthèses, d’un usage parfois un peu intempestif. Le narrateur s’installe au Waves motel, depuis la baie vitrée de sa chambre il observe l’océan qui se déploie, implacable et violent.
C’est dans un décor quelque peu inhospitalier, qu’il va faire la connaissance de plusieurs habitants, les retrouvant, soir après soir au bar de Moses. Il y a Shannon, Harry Dean, et Colter, ainsi que tous les autres. Les personnages d’un abord assez difficile, un peu revêches semblent finalement tisser des liens avec le narrateur, se livrer après que l’alcool ait un peu délié les mots. Un grand nombre d’histoires se superposent alors, un fils qui fugue, l’oncle de Moses que l’on croyait mort, une éruption qui ensevelit tout. Un mari qui retrouve sa maison vide un soir, l’absence de sa femme et de ses enfants, l’absence d’explications. L’histoire de Wendy, une femme scrupuleuse avant qu’elle ne rencontre Tom. Tous ces personnages s’entrelacent et l’on en connait parfois finalement moins que ce l’on en invente, ce que l’on en imagine ou extrapole. Au milieu de tous ces destins qui s’entrecroisent, de ces personnages malmenés par l’existence, il y a l’océan, toujours, immuable.
La force des paysages
Plus rien que les vagues et le vent, comme son titre l’indique, est avant tout un paysage, des éléments. Christine Montalbetti nous plonge dans une ambiance hypnotique dès les premières pages : « L’océan qui était déjà là à battre la plage, l’océan qui était bien plus qu’une toile de fond, une présence, furieuse, emportée, charriant sans trêve sa colère inexplicable. Et ce que ça leur faisait, à Colter et aux autres, la colère de l’océan, ça aussi il faut que je le raconte. » L’Océan, ici, plus qu’un élément, est presqu’un personnage, autour duquel s’articule l’ensemble du livre. Sa violence à la fois sous-jacente et omniprésente, sa brutalité semblent alors annonciatrice d’autre chose : « Chaque fois que je relève les yeux vers l’océan et que je pense à toutes ces histoires que j’ai entendues chez Moses, je ne peux pas m’empêcher de trouver un lien inexplicable entre le spectacle inutile et violent des rouleaux qui viennent s’écraser contre la grève et l’acharnement du sort à briser méthodiquement les éclats de bonheur auxquels Colter et les autres étaient parvenus ».
Un suspens est installé dès le début du livre, un mystère qui flotte ostensiblement au-dessus des pages. Mais finalement, plus qu’à faire avancer l’intrigue, Christine Montalbetti s’attarde longuement sur les personnages, même secondaires. Il y a comme une menace qui plane au-dessus de l’histoire, l’océan et sa colère peut-être, qui érode le paysage en se fracassant sur le sable. Mais il y a également un homme, McCain, qui pèse comme un danger inéluctable. D’intimidation en intimidation, c’est celui qui reste avant toute chose « l’étranger » qui semblera alors le premier exposé.
Christine Montalbetti nous montre la tension permanente qui peut exister entre une familiarité croissante que l’on finit par trouver dans un pays qui n’est pas le nôtre, et cette persistance pourtant de l’étrangeté, qui ne manquera pas d’être rappelé brutalement au narrateur. « Même le mot de désenchantement ne suffirait pas. J’avais compati, de les entendre soir après soir, j’avais porté leurs histoires en moi : ils étaient restés les deux pieds plantés dans la terre, raides et vides sous le ciel sombre. Ils avaient contemplé ça, l’homme de McCain qui bourrait le Français de coups sous la lune incertaine, et ils n’avaient pas plus bougé que s’ils avaient été les poteaux d’un ring. »
Un goût d’inachevé
Il y a une errance tout au long du récit. Nous avons quelques difficultés à comprendre dans quelle direction le suspens nous emmène, le lien que toutes ces histoires ont entre elles. L’histoire se finit alors même qu’elle ne semble pas avoir véritablement commencé. Le récit nous laisse dans l’attente que quelque chose se produise enfin, indécis au beau milieu de la multitude d’histoires et de personnages qui agissent comme une accumulation mais dont on peine à trouver la cohérence.
L’histoire se finit alors même qu’elle ne semble pas avoir véritablement commencé.
Il reste toutes ces réflexions sur la solitude, la perte et l’abandon qui reviennent inlassablement comme le roulis des vagues justement. Sans doute est-ce ici le fil conducteur du roman. « Colter, faut-il lui en vouloir de ça, avait cru que c’était gagné, à cause de cette métaphore de maçon que tout le monde emploie au sujet des relations, et lui aussi avait voulu « construire » avec Betty, sans se rendre compte que cette aspiration à construire est (excusez-moi) le déni de la vie même, qui est mobile, changeante, qui réclame de perp étuels aguets, des ajustements délicats, un tâtonnement constant, une disponibilité ardente à l’instant, vous ne croyez pas ? ».
Plus rien que les vagues et le vent est un livre où réside une forme de dureté, comme celle que pourrait respirer un visage battu par les vents et l’air salé, une peau durcie par l’air du large et les intempéries. Il y avait dès le début comme un pacte avec le lecteur : « Dans tout ça, ce qu’il faut par-dessus tout c’est que vous entendiez l’océan. ». L’océan, c’est certain, continue de résonner à nos oreilles une fois le livre refermé, et cette atmosphère particulièrement réussie nous avale tout entier. Quant au reste, il demeure une frustration, un goût d’inachevé pour une histoire qui semble nous avoir filé entre les doigts.
- Plus rien que les vagues et le vent, Christine Montalbetti, Editions P.O.L, 288 pages, 16,90 euros, août 2014
Manon Drique