Zone Critique revient sur le dernier recueil deJean-Michel Espitallier, Salle des machines : un “cabinet d’aberrations” pour notre contributeur.
Je dois vous faire un aveu : je n’aime pas L’Écume des jours. Non pas le livre de Boris Vian, je ne l’ai pas lu depuis très longtemps : non, l’adaptation cinématographique de Michel Gondry. Les dés étaient pipés d’avance : seule l’invraisemblance du dessin-animé peut rendre la féerie des contes au cinéma. Ou bien, il faut être Eric Rohmer, ou Jacques Demy ; oui, comparaison n’est pas raison.
Et puis, de toute façon, l’objet de cet article est Salle des machines de Jean-Michel Espitallier.
Ce préambule a pour justification ma seule incapacité à lire le livre de Jean-Michel Espitallier sans me souvenir, à chaque page, des pièces de-bric-et-de-broc en travelling ou en contre-plongée, chez Gondry, qui me rendent L’Écume des jours insupportable.
Formellement, et figurativement, une voix nomment les choses, en mouvement, et/ou en métamorphose, et/ou immobiles, en somme déambule parmi les mots.
Stockés, ou pas.
Dans des cargos, par exemple :
Cargos – les coques
Ventre et grues
Les coques
Bidons, bulbes d’acier
Côlon, joufflures, ponts
Cargos, les embargos
Les coques
Étraves, aplomb, enflures
Rivets – les clous boulus
Boursouflubulbulures.
Les coques – les cargos
(…)
Ah, tiens, « Boursouflubulbulures ». On pourrait en créer un verbe : boursouflubulbulurer. On pourrait aussi l’employer en adverbe : Jean-Michel Espitallier est boursouflubulbuluré, les mauvais poètes sont boursouflubulbulurés, nous sommes boursouflubulbulurés, vous êtes boursouflubulbulurés, je suis boursouflubulbuluré.
On pourrait tout lister.
Également.
On pourrait aussi lister les choses qui ne sont pas des animaux :
Le scramasaxe n’est pas un animal
Le bigoudi n’est pas un animal
Le fourre-tout n’est pas un animal
Le codicille n’est pas un animal
Le krakatoa n’est pas un animal
Le macignon n’est pas un animal
La passcaille n’est pas un animal
Le mesclun n’est pas un animal
L’arrosoir n’est pas un animal
La salive n’est pas un animal
L’emphigouri n’est pas un animal
Le tire-bouchon n’est pas un animal
La marquise n’est pas un animal
Le calisson n’est pas un animal
Le falzar n’est pas un animal
Le reblochon n’est pas un animal
La mayenne n’est pas un animal
Le lascar n’est pas un animal
Le millepertuis n’est pas un animal
Le monte-charge n’est pas un animal
Le ventre n’est pas un animal
L’agousin n’est pas un animal
Le tarot de Marseille n’est pas un animal
L’hélicoptère n’est pas un animal
La mondeuse n’est pas un animal
L’attrape-nigaud n’est pas un animal
On pourrait les lister. On pourrait même lister les choses qui ne sont pas des « bêtes à saucisson » :
Les bêtes à trompe, les animaux à matrices multiples, le taureau d’airain, non, le dragon de fureur, la Panthère des neiges, non, l’hydre de Lerne, non, les grands mammouths gelés, non plus, la corneille germaine, un centaure, les animaux brigands, non, des ibis, non, une bête noire, non, le tyrannosaure, non plus, des chiots, des dogues, des griffons, non, des chevaux de bois, non, les bêtes maritimes, des dragons bleus, les pieuvres ailées, non, le poisson télescope, de jeunes singes-lions, léviathan, des chevaux fantômes, une chimère, les herbivores ignares, les fauvettes, les merles, non, le sphinx, non, des vampires, non plus, des démons, non plus, un serpent de pierre, les monstres bariolés aux antennes en fil de fer, le toucan, le colibri, non, des pinsons, des coqs, le canari, non, les alouettes, non, des punaises, un ver luisant qui brille, non, des oiseaux blancs à l’orée de la nuit, des chats-huants, la chouette qui appelle, non, les oiseaux migrateurs, des corbeaux troublant le silence, non, de jeunes tourterelles au vol droit, des tourtereaux, des mouettes muettes, un poussin du jour sur le fumier pailleux, le rapace qui rejoint sa femelle en plein vol, une bergeronnette qui marche sur l’eau noire, non, non et non !
(…)
On pourrait les lister. On pourrait aussi lister les femmes chez lesquels, selon Jean-Michel Espitallier, « le masculin l’emporte », et écrire à la fin qu’ils sont « beaux » (ce qui est, somme toute, grammaticalement correct, puisque David Pujadas est cité dans la liste) :
Joan Fontaine, Saskia de Brauw, Catherine de Rambouillet, Charlotte Delbo, Rosa Parks, Daria Werbory, Sarah Kane, Kate Moss, Bianca Jagger, Catherine II de Russie, Catwoman, Rachida Dati, April March, Anne Sinclair, Karen Elson, Isabelle Eberhardt, Suvi Koponen, Lady Gaga, Juliette Greco, Angela Davis, Vivienne Weestwood, Maria Callas, Emily Di Donato, Janis Joplin, Nadia Boulanger, Karlina Caune, Carole Bouquet, Pannonica de Koenigswarter, Louise Michel, Britney Spears, Rosa Bonheur, Geneviève de Fontenay, Olivia Harrison, Katharine Hepburn, Bettie Page, Oum Kalsoum, Hana Jirickova, Catherine McNeil, Orane Demazis, Patricia Arquette, Laurie Anderson, Albertine Sarrazin, Catherine Ribeiro, Anja Rubik, Linda McCartney, Amanda Murphy, Cléo de Mérode, Karmen Pedaru, Elis Regina, Tina Weymouth, Lee Miller, Hana Jirickova, Frida Kahlo, Mata Hari, Hilary Rhoda, Shirley Temple, Gisele Bündchen, Leslie Kaplan, Emily Dickinson, Doutzen Kroes, Fanny Ardant, Lucie Aubrac, Dita Von Teese, Nathalie Stutzmann, Anita Pallenberg, Dalida, Hannah Arendt. Leni Rjefenstahl, Stella Barkcr, Madonna. David Pujadas, Madeleine Robinson, Karolina Kurkova. la Madelon, Caroline de Monaco. Claudia Cardinale, Danielle Casanova, Tilda Swinton, Monica Vıtti, Aretha Franklin, Caroline Loeb, Angelina Jolie, Annette Messager, Anaïs Nin, Pattı Smith, Léa Massari, Marie-Antoinette d’Autriche, Marguerite Duras, Nina Hagen, Eva Peron, Yoko Ono, Erin Wasson, Simone Weil, Magdalena Frackowiak, Rosa Luxemburg, Madame Récamier, Fifi Brin d’Acier, Chrissie Hynde, Natalia Vodianova, Inès de La Fressange, Mae West, June Carter, Emma de Caunes, Isadora Duncan, Malwida von Meysenbug, Germaine Tailleferre, Scarlett Johanson, Ronit Elkabetz sont beaux.
On pourrait les lister. On pourrait même lister des individus ou des ensembles d’individus selon les lieux géographiques depuis lesquels ils s’expriment :
Je viens de Dassa-Zoumé. Nous, de Wenzhou. Nous venons de Bangkok. Je suis de Jha. Je suis né à Sfizef, à côté de Sidi Bel Abbes. Je viens CIC Moctezuma, clans la province de Chihuahua. Je suis originaire de Katowice. Je suis de Bouaké. J’ai fait mes études au lycée Razi de Téhéran et suis arrivé ici en 1980. Je suis d’Angoulême. Je suis de Zeralda, à côté d’Alger. Je viens de Xinyu. Je suis né dans le quartier de Beauséjour, à Casa. Je suis natif de Sabadell. Je suis née Saint-Maur-des-Fossés. Nous venons de Ceské Budéiovice, une cinquantaine de kilomètres de la frontière autrichienne. Je suis du Timor. Je suis de Ouagadougou, je vivais boulevard De Gaulle. Nous vivions à Novopokrovka. Je suis originaire de Coventry. Je suis né à Akkaraipattu. Je suis né à Cox’s Bazar. Je suis né à Sidi Ifni, au bord de la mer. Je suis de Mogadouro. Je viens d’Atlanta. Je suis né à l’hôpital Saint-Antoine, dans le XIIe. Toute la famille vient d’Albacete. Je viens de Sanankoroba, à côté de Bamako. J’ai grandi à Jabalpur. Je suis de Korba, à l’est de Tunis. Je vivais à Rahimyar Khan. Je suis de Kaolack, sur le fleuve Saloum. Je suis de Kamarhati, dans le delta du Gange. Je viens de Gardony, sur le Velencei-To. Je suis né à Antokonosy Manambondro, sur l’océan Indien. Je suis de Barbate de Franco, sur le détroit de Gibraltar. Je suis né à Roquebrune-Cap-Martin. Je suis arrivé de Mola di Bari en 1979. Je viens de Tarnow. Je suis né à Arsew. Je suis de Rangoon. Je viens de Cabiri, à côté de Luanda. J’ai vécu à Riga jusqu’à 20 ans. (…)
On pourrait les lister. Et, on pourrait lister les Jean-Pierre, aussi :
– Qu’est-ce que vous faites là Jean-Pierre Bertrand, Jean-Pierre Robert, Jean-Pierre Balpe, Jean-Pierre Mercier, qu’est-ce que vous faites là Jean-Pierre Cassel, Jean-Pierre Lemaire, Jean-Pierre Pierre Bloch, Jean-Pierre Danguillaume, Jean-Pierre Gattegno, qu’est-ce que vous faites là Jean-Pierre Foucault, Jean-Pierre Criqui, Jean-Pierre Léaud, Jean-Pierre Peroncel-Hugoz, qu’est-ce que vous faites là Jean-Pierre Rives, Jean-Pierre Pincemin, Jean-Pierre Soisson, Jean-Pierre Chaix, Jean-Pierre Andrevon, Jean-Pierre Papin, Jean-Pierre Chevènement, qu’est-ce que faites là Jean-Pierre Cometti, Jean-Pierre Bobillot, Jean-Pierre Fosatti, qu’est-ce que faites là Jean-Pierre Rehm, Jean-Pierre Dubost, Jean-Pierre Darroussin, Jean-Pierre François, Jean-Pierre Elkabach, Jean-Pierre Spilmont, Jean-Pierre Stirbois, Jean-Pierre Greff, qu’est-ce que faites là Jean-Pierre Guerin, Jean-Pierre Castaldi, Jean-Pierre Timbaud, Jean-Pierre Aubert, Jean-Pierre Prévotat, qu’est-ce que vous faites là Jean-Pierre Vernant, Jean-Pierre Vidal, Jean-Pierre Aumont, Jean-Pierre Treiber, Jean-Pierre Raffarin, qu’est-ce que vous faites là Jean-Pierre Taillandier, Jean-Pierre Roux, Jean-Pierre Siméon, Jean-Pierre Boyer, Jean-Pierre Gaillard, Jean-Pierre Perrin, Jean-Pierre Marielle, qu’est-ce que vous faites là Jean-Pierre Salgas, Jean-Pierre Sintive, Jean-Pierre Pernaut, Jean-Pierre Coffe, Jean-Pierre Verheggen, Jean-Pierre Rosnay, qu’est-ce que vous faites là Jean-Pierre Riehl, Jean-Pierre Duprey, Jean-Pierre Khazem, Jean-Piere Richard, Jean-Pierre Changeux, Jean-Pierre Mocky
(…)
On pourrait les lister. Et, on pourrait aussi lister des impressions subjectives de unes de journaux après la vision des images de la prison d’Abou Ghraib (« Concernant En guerre, le texte intitulé « Donald Rumsfeld est un artiste contemporain », lui aussi inédit, a été écrit après la parution du livre [Le Théorème d’Espitallier II] (avril 2004), au moment de la diffusion des terribles images de la prison d’Abou Ghraib près de Bagdad, au printemps 2004. » (Précision, que Jean-Michel Espitallier apporte, préalablement, dans son texte-préface-avant-propos, intitulé Salle d’attente, page 10.)) :
Ce matin, à la une des journaux, il y a un type en houppelande, cagoulé, les bras écartés, avec des bouts de fils de fer au bout des doigts, calme, comme sur le point d’esquisser un pas de danse. Il est juché sur une caisse qui est peut-être une caisse de la General Fruit, et ce type dans sa houppelande et sa cagoule en pointe fait penser à un brave gars de l’Arkansas. À part que la houppelande est en feutrine et que le type, c’est Joseph Beuys dans une reprise très légèrement remaniée de sa performance de 1974 : I like America and America likes me.
Ce matin, à la une des journaux, on voit un certain nombre de cagoules, pas mal de types avec des cagoules et je me dis que l’on est en train de rejouer l’installation de Gary Simmons intitulée Klansboard.
Ce matin, à la une des journaux du matin, il y a un type tenu en laisse par une petite brunette qui est presque encore une enfant et c’est sûrement Valie Export, l’artiste autrichienne qui a promené un homme en laisse dans les rues de Vienne il quelque temps.
Ce matin, les grands quotidiens du matin publient en une les photos des derniers préparatifs de la « dogy» performance de Oleg Kulik, enfermé nu dans une cellule, marchant à quatre pattes et montrant les dents.
Ce matin, à la une des journaux, il y a une très jolie jeune femme, soigneusement maquillée, souriante, la tête légèrement inclinée près d’un corps empaqueté qui est signé Rudolf Schwarzkogler.
Ce matin, en une des grands quotidiens du matin, on voit une grappe de corps nus qui pourrait être le détail d’une photo des charniers de Buchenwald prise en 1945 par Margaret Bourke-White pour le magazine Life. Il s’agit en réalité d’une photo extraite du slideshow de Nan Goldin sur les partouzes publiques des jeunes sexworkers de Bangkok et de Manille.
Ce matin, c’est Face Painting de Paul McCarthy qui fait la une des journaux du matin.
On pourrait les lister. On pourrait aussi lister les positions sexuelles possibles des rois carolingiens :
Pépin III le Bref + Berthe au grand pied fist fucking sous ciel de baldaquin bois chantourné peinture Machault d’Arras => Charles Ier le Grand dit Charlemagne + Hildegarde = double pénétration braie« aux mollets sur bergère Régence (« encore ! ») Louis Ier + Judith = fellation gargouillante + éjaculation faciale en profond édredon duvet d’oie (du joli, monseigneur !) Charles II + Ermentrude = position du missionnaire + langues mélangées dans foin scène champêtre chape ôtée chainse ôtée chausses au loin encore ! h) => Louis II + Ansegarde = soixante-neuf amamamélioré + doudouche dorée chaude alcccccóve à vitrail coin de mâmâchicoulis sssous créneaux memeurtrières => Louis III = situation difficile / envahisseurs partout / trop tôt mort. Une pause. Louis II + Adélaïde = sodomie + levrette (ahans !) saie dégrafée bliaud jeté adonc derrière mostier (« encore ! ») ombre abside + contrôle érection encore ! ») x [grosse grosse envie – peur du gendarme] => Charles III + Edwige = langue fourrée + brouette chinoise quatre coins chambre nuptiale musc rapporté d’Orient par marchand Qui va là ? Marchand d’encens ! Sonnez trompettes et faites entrer !) => Louis IV + Gerberge = fessée cunnilingus musclé triporteur catalan (casse-gueule + délices) sur lit conjugal grincements réglementaires Lothaire + Emma = soirée touze au château oubliettes donjon réception cour d’honneur torches et dais invités [propos salaces + oreille (susurrer à l’) + rires gras √ main au panier] x n invités sur chariots franchissant pont-levis Louis V, roi fainéant ayant chu de cheval.
On pourrait les lister.
Ce que je me garderais de faire, s’il s’agissait de publier un livre.
Oubliez L’Ecume des jours, j’ai trouvé l’analogie : lire Salle des machines serait comme voir un homme en one man show, où seul personnage sur scène, et accompagné d’un amoncellement de gadgets, de trucs et astuces, il essaye paresseusement de vous fait rire avec eux mais il tombe toujours à côté de la plaque.
Jean-Michel Espitallier pourrait parfaitement correspondre à deux aphorismes de Jules Renard : « Je connais bien ma paresse. Je pourrais écrire un traité sur elle, si ce n’était un si long travail. » Et : « Je perds une vache. J’écris sa mort et ça me rapporte de quoi acheter une autre vache. »
Malheureusement, Jean-Michel Espitallier sur-évalue sa paresse, croyant qu’elle peut justifier l’écriture d’un livre, en listant tout sur quoi il aurait envie d’écrire.
J’aimerais ne pas avoir à relire ce livre une nouvelle fois : sans mauvais jeu de mot, c’est particulièrement une boucherie. Non, plus précisément : le semblant figé d’une boucherie grotesque.
Fantaisie bouchère
(grotesque)
Mis à part le titre, un autre extrait du texte :
Et voici…
LE BOUCHER !
B ! O ! U ! C ! H ! É !
Le…
(Je tiens à préciser que je recopie sans faute d’orthographe.)
Un autre extrait du texte :
Tirons-lui le portrait : cordon du tablier, bien en chair, tête à claques, poitrail, parfois moustache, toujours gros doigts irréguliers (du vieux sang y est collé), le menton en galoche, bon vivant, à son compte, deux fois un œil, du pied-de-poule, un dur à cuire.
Il fait la peau,
Et c’est au poil.
En gros, ici, tout son portrait
Viande vivante sur viande assassinée
Toujours il a couteau tiré
Le…
Un autre extrait du texte :
PETIT ENTRACTE III
Lard poétique
(scie populaire)
Buvard à sang
De la sciure
Avec dedans
Des oxyures
(coupe-gorge-dégorge)
Saucisses en rang
Sous les rognures
Nourries aux glands
Les fruits sont mûres
Très indécents
Deux cochons noirs
Dans un couloir
La queue en sang
(dégorge-coupe-groin)
S’enculent un peu
Sous l’œil visqueux
De grosses truies
Sentant la suie
Lèvent la patte
Quand vient la fuite
Souillent leur natte
Et font des bruits
(écrase-groin-dégorge)
Les cuisses en flamme
Enfourchent un os
Comme une lame
Au tétanos
Un autre extrait du texte :
PETIT ENTRACTE IV
L’énervement au foirail
Le veau – Il est pas chien, pas vache !
La vache – Et plutôt bon vivant !
Le bœuf – C’est surtout un viveur !
L’agneau – Et un drôle d’assesseur !
Le mouton – Mieux, en assassineur !
La jument – Et un asservisseur !
La brebis – Un cochon, un nerveux et puis, qu’est-ce qu’il est bête !
La génisse – Ma foi, c’est sans issue.
Le goret – À la queue, à la queue, et qui vivra verra !
Sur les nerfs, le boucher, sans bouger
Reste de marbre
Il encaisse
Grognon
Et fait un coup de sang
(rideau)
Un autre extrait du texte :
Le boucher ! ! Le… Le boucher blut blouche! blut Le boucher blutecher blut blut bloucher Le blut blut blut blut blut blouche le boucher ! blut bouche le bouchblut blut bouche blutecher blut blut le… blut blut blut bouchblut blut blut blutblut blut blutboublut blut blutcher le bouch blut blut blut blut blut blut blutbl blut blut blut blut blut blut blut blouchutlut blut blut blut blut blut blut blut blutblouchblut blut blut blut blut bluttt blutblut blut blut blut blut blut blut blut boucblut blut blut blut blut blut
Un autre extrait du texte :
blutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblutblut
Extraire le poétique à partir de l’analogie linguistique de la fonctionnalité des choses, c’est pas mal ? C’est peut-être même l’idée, l’objectif, l’intention du livre de Jean-Michel Espitallier, non ?
Peut-être. Seulement, ici, c’est raté.
Ce qui est bien avec les livres ratés, c’est qu’ils ne manquent jamais d’humour, sans le vouloir.
Au moins, une fois. Malheureusement, pas plus.
Ici :
Histoire de jusqu’à 15 (version ratée)
1 (un), 2 (deux), 3 (trois), 4 (quatre), 5 (cinq), 6 (six), 7 (sept), 8 (huit), 9 (neuf), 10 (dix), 11 (onze), 12 (douze), 13 (treize), 14 (quatorze), 16 (seize).
Histoire de jusqu’à 15 (version dyslexique)
1 (un), 2 (deux), 3 (trois), 4 (quatre), 5 (cinq), 6 (six), 7 (sept), 8 (huit), 9 (neuf), 10 (dix), 11 (onze), 12 (douze), 13 (treize), 14 (quatorze), 51 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version feignasse)
Na-na-na-na-naaaaaa, 15 (quinze).
(…)
Histoire de jusqu’à 15 (ordre alphabétique)
Cinq (5), deux (2), dix (10), douze (12), huit (8), neuf (9), onze (11), quatorze (14), quatre (4), quinze (15), sept (7), six (6), treize (13), trois (3), un (1).
Histoire de jusqu’à 15 (version monomaniaque)
15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze), 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version alphabétique)
a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version latine)
I (unus), II (duo), III (tres), IV (quattuor), V (quinque), VI (sex), VII (septem), VIII (octo), IX (novem), X (decem), XI (undecim), XII (duodecim), XIII (tredecim), XIV (quattuor decim), 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version militaire)
1 (un), 2 (deux), 1 (un), 2 (deux), 1 (un), 2 (deux), I (un), 2 (deux), 1 (un), 2 (deux), 1 (un), 2 (deux), 1 (un), 2 (deux), 15 (quinze).
(…)
Histoire de jusqu’à 15 (version morse)
. – – – -, . . – – -, . . . – -, . . . . -, . . . . ., – . . . ., – – . . ., – – – . ., – – – ., . – – – – – – – – -, . – – – – . – – – -, . – – – – . . – – -, . – – – – . . . – -, . – – – – . . . . -, 15 (quinze).
(…)
Histoire de jusqu’à 15 (version à l’envers)
14 (quatorze), 13 (treize), 12 (douze), 11 (onze), 10 (dix), 9 (neuf), 8 (huit), 7 (sept), 6 (six), 5 (cinq), 4 (quatre), 3 (trois), 2 (deux), 1 (un), 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version RATP)
Château de Vincennes-La Défense, Nation-Porte Dauphine, Gallieni-Pont de Levallois, Porte de Clignancourt-Porte d’Orléans, Bobigny Pablo Picasso-Place d’Italie, Nation-Charles de Gaulle Étoile, La Courneuve-Villejuif Louis Aragon/Mairie d’Ivry, Créteil-Balard, Mairie de Montreuil-Pont de Sèvres, Gare d’Austerlitz-Boulogne Pont de Saint-Cloud, Mairie des Lilas-Châtelet, Porte de La Chapelle-Mairie d’Issy, Gabriel Péri Asnières Gennevilliers/ Saint-Denis Basilique-Châtillon Montrouge, Saint-Lazare-Bibliothèque François Mitterrand, 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version atomique)
Hydrogène, hélium, lithium, beryllium, bore, carbone, azote, oxygène, fluor, néon, sodium, magnésium, aluminium, silicium, 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version suite de Fibonacci)
1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144, 233, 377, 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version anniversaire de mariage)
Noces de coton, noces de cuir, noces de froment, noces de cire, noces de bois, noces de Chypre, noces de
Histoire de jusqu’à 15 (version grand nombre)
123456789101 1121314 (un trillion deux cent trente-quatre mille cinq cent soixante-sept billions huit cent quatre-vingt-onze mille milliards onze millions cent vingt et un mille trois cent quatorze), 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version anagrammatique)
1 (nu), 2 (duxe), 3 (sorti), 4 (traque), 5 (nicqs), 6 (ixs), 7 (pets), 8 (huti), 9 (feun), 10 (xid), 11 (zone), 12 (douez), 13 (etriez), 14 (quortaze), 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version esperanto)
1 (unu), 2 (du), 3 (tri), 4 (kvar), 5 (Win), 6 (ses), 7 (sep), 8 (ok), 9 (nau), 10 (dek), 11 (dek unu), 12 (dek du), 13 (dek tri), 14 (dek kvar), 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version homonymique)
1 (Huns), 2 (d’eux), 3 (Troyes), 4 (cadre), 5 (seins), 6 (scie), 7 (Sète), 8 (huître), 9 (neuf), 10 (dis), 11 (gonze), 12 (douce), 13 (très œufs), 14 (cas torve), 15 (quinze).
Histoire de jusqu’à 15 (version Wingdings)
1 (un), 2 (deux), 3 (trois), 4 (quatre), 5 (cinq), 6 (six), 7 (sept), 8 (huit), 9 (neuf), 10 (dix), 11 (onze), 12 (douze), 13 (treize), 14 (quatorze), 15 (quinze).
Et, c’est tout.
Une seconde fois m’aurait peut-être permis de ne pas en vouloir à Jean-Michel Espitallier de m’avoir infligé un très mauvais moment, soumis au dogmatisme volontaire de son livre que je me suis obligé à lire, et dont j’avais promis d’écrire au moins quelques mots, des impressions saisies à la lecture (et malheureusement encore à la relecture) de son livre.
Et, je vous dis, malgré tout, Jean-Michel, (oui, je vous tutoie : après tout ce que l’on a vécu ensemble) : bonjour ou bonsoir.
Ne relis pas Salle des machines.
Ce n’est pas la peine.
Tu veux « tuer le temps », en écrivant :
Écrire, pourquoi ?
Tuer le temps
« Tout faire savoir (écrit pour que vous le compreniez). »
Tout le système D, n°20
mille et un travaux d’amateur, comment motoriser un vélo, la technique et la pratique professionnelle, (le débrouillard a réponse à tout), comment construire pressoir, canoës, canot pliant, une scie circulaire avec un vieux vélo, le recordage des raquettes est une opération délicate, une canne pour le lancer léger, une carabine à air comprimé, la transformation d’un rabot en varlope, une filière pour faire des vis en bois, faciliter les commutations, un support mobile pour échelle, un appareil à plaque pour les petits formats, un fauteuil-lit, la construction d’une fosse septique, l’abondance au jardin par les engrais, le montage de moteurs auxiliaires sur bicyclettes, un laboratoire sur votre table, comment fabriquer une tente de camping, cette table vous permet d’escamoter une machine à coudre, voici une recette pourfaire du stuc, un four électrique lampe à arc sur alternatif, ce qu’on peut faire avec du sel de cuisine, une roulette à découper la pâte, un arroseur de pelouse, [tuer le temps], un dispositif d’affûtage de scies, tout pour l’électricité, une penderie d’angle, une coupeuse déchiqueteuse pour la photo, poudres à faire pondre, flammes infernales, mélanges réfrigérants, filtrage supplémentaire par résistance, un petit ampli de salon, de qualité, radio-papyrus, voici
(page 11.)
Soit.
Pour autant, ne nous contraint pas à te lire.
N’est pas Cendrars qui veut. Cendrars ne liste pas : il transpose, aux lieux-dit des mots, le mouvement extasié des choses.
N’est pas Jean Daive qui veut. Jean Daive ne liste pas : il juxtapose, aux lieux-dit des mots, l’immobilité extatique des choses.
« Ce n’est absolument pas la même chose. » : c’est bien dommage, que l’on ne se répète pas cette phrase, page après page, alors que l’on espérait découvrir un écrivain singulier ou peut-être, faisant confiance à la couverture du livre sur laquelle est écrit « poésie », un poète : tu m’as donné envie de relire Cendrars, Jean Daive, Queneau, et d’autres encore.
Mais, jamais plus toi.
En tout cas, ne relisons surtout pas, plus jamais, ta Salle des machines.
Ça nous épargnera la lecture d’un mauvais livre – d’un mauvais texte publié – d’un non-livre.
- Salle des machines, Jean-Michel Espitallier, Flammarion, 18 euros, janvier 2015.