Pour son deuxième opus, La Longe, l’autrice suisse Sarah Jollien-Fardel cueille la douloureuse histoire d’une mère, Rose, en deuil de sa fille Anna, renversée par une camionnette. Comment survivre à la mort de sa fille ? Comment vivre après que son enfant a été fauché, à l’orée de sa jeunesse ? Cela n’est pas possible. Invivable. Il n’existe pas de nom spécifique pour ce type de deuil, les parents se retrouvent orphelins de leur propre enfant, comme s’ils étaient de nouveau placés dans une position infantile, abandonnés à l’abjecte solitude de voir morte celle à qui ils ont donné la vie. Ainsi rétrogradés, les parents sont aussi démis de leur fonction que démunis.

Depuis l’arrivée des policiers et l’annonce de la mort d’Anna, Rose ne vit plus qu’à moitié. Et encore. Elle s’engouffre dans une dépression, dans une crevasse si profonde qu’elle y perd pied. Cette ostéopathe, qui aimait tant apporter du soin à ses patients, ne parvient plus à assurer ses séances. Rose est devenue une capitale de la douleur. Elle mange en s’abrutissant devant la télévision, sans voir les images, ni entendre les commentaires, repassant en boucle dans sa tête la scène, apparemment accidentelle, de la mort de sa fille. Comment ces micro secondes ont-elles pu l’assassiner ? Camil, son compagnon de toujours, son amour de jeunesse et le papa d’Anna, n’a d’autre choix que de tenir. Il continue de travailler dans son cabinet d’architecture, dessine des plans et envisage le futur. Il tient à bout de bras sa bien-aimée. Spectateur impuissant de sa disparition, il essaie de relier les fils qui maintiennent Rose dans le monde. Mais elle les coupe, les uns après les autres, un jour après l’autre.
La brider, comme une bête, justement pour la sauver des bêtes qui peuplent sa tête.
Alors quand il est question d’enfermer Rose dans un hôpital psychiatrique, Camil ne l’accepte pas. L’enfermement se fera cependant, mais de ses propres mains. Le voilà réduit à faire l’insoutenable : attacher sa femme – qu’il aime, « Je le sais qu’il m’aime» explique Rose – à une longe. La brider, comme une bête, justement pour la sauver des bêtes qui peuplent sa tête. Ces fameuses bêtes qui attaquaient jadis la mère de Rose, Marie, et que rien ni personne n’avait pu maîtriser. Marie, figure maternelle s’il en est, est autant au centre de ce roman qu’Anna. Elles sont toutes les deux liées : la grand-mère et la petite fille. Elles ne se sont pourtant jamais rencontrées, toutes deux parti...