FESTIVAL AMERICA 2024. Toute la semaine, Zone Critique couvre le festival America 2024 et vous donne accès au meilleur de la littérature américaine contemporaine.
Traduit avec force talent et courage par Charles Recoursé, Le déluge de Stephen Markley, est un roman-fleuve qui prépare ses lecteurs au pire, sans leur permettre d’oublier ce qu’ils ont lu une fois le livre refermé.
Dans Le déluge, Stephen Markley donne à lire un futur vraisemblable qui n’en est que plus glaçant. Ce roman choral est composé des voix d’un océanographe dépassé, d’une publicitaire détestable, d’un autiste aussi brillant que déterminé, d’une écoterroriste qui sillonne le pays, sa fille dans les bras, d’un écologiste convaincu qui n’était au départ qu’un jeune homme éperdument amoureux, et d’un drogué volontiers violeur puis bientôt père prêt à tout. Beaucoup sont issus de minorités – l’une a des origines jamaïcaines et navajos, un autre est homosexuel et fils d’immigrés indiens musulmans, une troisième est Latina tandis que des personnages secondaires sont asiatiques, non-binaires ou métisses.
À la première, deuxième ou troisième personne, l’auteur raconte ces six protagonistes, mais il se sert surtout d’eux pour donner à voir le monde en son entier. Ils réfractent la lumière à la manière d’un prisme et les rayons qu’ils renvoient reforment la Terre dans l’œil du lecteur. Ainsi, le regard biaisé de chacun se combine et offre une vision multi-dimensionnelle de ce qui les entoure, de la crise protéiforme qui s’annonce, dans dix ans à peine si on l’en croit ce qui est relaté ici. Leurs narrations imparfaites sont par ailleurs enrichies de rapports très précis confinant à l’analyse documentaire, d’articles de journaux et de pages de titre, autres témoignages de ce futur alternatif qui traduisent la tendance de la littérature américaine à la narration omnipotente plus encore qu’omnisciente – l’auteur sait tout et il est compétent dans tous les domaines, de l’océanographie à l’organisation d’attentats, de l’élaborations de plans et de stratégies politiques à la science du feu, ce savoir encyclopédique laissant parfois échapper une étincelle de poésie.
« Les braises étaient semblables à des lucioles, la fumée et les flocons de cendres formaient une brume de soie. »
Qu’en sera-t-il quand l’IA aura remplacé les écrivains comme elle commence déjà à le faire dans ce livre ?
La rébellion de notre Terre
L’extrême-droite qu’imagine l’auteur ici ferait presque passer Donald Trump pour un bouffon peroxydé et inoffensif.
Notre maison brûle, mais elle prend aussi l’eau, elle est fouettée par des vents d’une violence encore inégalée et par des tempêtes de sable, elle fond sous l’assaut d’un soleil sans pitié.
« “La vraie question, c’est pourquoi tout le monde n’est pas ici”, répondit l’adolescent. Un masque à gaz pendait à sa hanche. Son T-shirt proclamait riposte. “Je suis venu parce qu’on n’a plus rien à perdre. Ou bien on gagne maintenant, ou bien on crève.” »
Au-delà de notre planète bleue qui se rebelle et qui répond au centuple à ce que l’Homme lui inflige depuis des siècles, s’ébrouant pour semble-t-il, se débarrasser de lui, il faut aussi compter avec cette espèce aveugle et assoiffée qu’est la nôtre – de quoi donner raison aux survivalistes les plus excessifs. L’extrême-droite qu’imagine l’auteur ici ferait presque passer Donald Trump pour un bouffon peroxydé et inoffensif. Enfermés ici comme dans un asile, un gouverneur fait sécession, un Pasteur tout puissant excite les foules et s’apprête à ramener ses ouailles à l’âge de pierre à coup de discours d’une haine insoutenable, des milices armées torturent et assassinent ceux qu’ils voient ...