Dans le sillage d’Alfred de Vigny, le dernier récit de Jean Rolin ouvre une nouvelle page du grand livre des marges historiques, entamé il y a trente ans déjà et dans lequel célébrités politiques et littéraires côtoient des figures anonymes oubliées. Tous passaient sans effroi dévoile une facette fascinante et peu exposée de la Seconde Guerre mondiale soulevant des interrogations faisant échos à l’actualité la plus brûlante. 

Que sont les Pyrénées ? « Une chaîne de montagnes séparant la péninsule Ibérique du reste de l’Europe » renseigne Google, « un terrain de jeu infini » vante l’Agence National du Tourisme, alors que Diodore de Sicile dans sa monumentale Bibliothèque historique en fait le théâtre d’un incendie immense ayant ravagé les pentes jadis boisées de la chaîne – d’où le nom Pyrénées, dont l’étymologie remonterait au grec ancien pûr, le feu. Pour Jean Rolin, les Pyrénées sont tout cela à la fois : frontière géographique, espace propice aux jeux de cachette, scène privilégiée de drames humains. 

Dans les pas de Benjamin

Tous passaient sans effroi débute par un échec : « Avant même la mi-octobre, le nombre de mes tentatives de franchissement des Pyrénées, déjà, s’élevait à quatre ». Bien que sa condition physique ne semble guère encourager une telle entreprise, le narrateur s’acharne à rejoindre la frontière franco-espagnole. C’est que son goût pour l’errance mêlé à une passion toujours aussi vive pour l’histoire du XXe siècle l’ont mis sur la piste de ces réseaux, qui lors de la dernière guerre organisaient l’exfiltration d’hommes et de femmes désireux de rejoindre l’une des rares parties du continent européen non soumise à l’occupation national-socialiste. Le cas de Walter Benjamin en est probablement le plus illustre, car singulièrement dramatique. Quatre-vingt-trois ans après son suicide à Port-Bou (situé en Catalogne, c’est-à-dire du “bon” côté de la frontière), Rolin emprunte à son tour ce qui fut le dernier itinéraire du grand penseur indépendant berlinois. 

Or Rolin ne serait pas Rolin s’il s’arrêtait à la « Grande Histoire ». Ce qui à mes yeux fait la force de ses récits c’est au contraire l’entrelacement d’événements ayants marqués le siècle et d’histoires personnelles, souvent anecdotiques, situées tantôt dans le passé, tantôt dans le présent de la narration. Ainsi Tous passaient sans effroi nous emmène non seulement sur les pas du dernier voyage benjaminien pour évoquer les personnes l’ayant soutenu durant son périple (principalemen...