Il est de ces livres qui ne se laissent pas catégoriser facilement. Le dernier-né d’Ehsan Norouzi est l’un d’eux. Objet hybride, Trainspotter oscille entre récit de voyage, documentaire et essai historique. Norouzi a beau avoir été influencé par Jack Kerouac au point de traduire Sur la route en persan, son voyage à travers le paysage ferroviaire iranien est tout sauf une errance. Et pour cause : son itinéraire, l’auteur l’a conçu à la bibliothèque et aux archives du chemin de fer à Téhéran. 

La trame du livre reprend le circuit emprunté par l’auteur le long du chemin de fer iranien tout au long de l’année 2016. Norouzi a fait le choix de calquer son itinéraire sur la chronologie de la construction du réseau ferroviaire à travers le pays, des huit premiers kilomètres de rails posés sous le règne de Nassereddine Shah à la construction de la trans iranienne sous l’impulsion de Reza Shah Pahlavi. Au fil des pages, l’auteur imbrique l’histoire des sources écrites celle des archives, procès-verbaux, monographies et thèses consultés en amont du voyage aux témoignages, du narrateur bien sûr, mais aussi des cheminots croisés sur les rails. En résulte un récit multiforme mêlant très justement érudition et sensibilité.

De la mer Caspienne au golfe Persique

Après avoir brièvement évoqué la construction du premier chemin de fer iranien dans les années 1870, Norouzi met en lumière la dimension internationale du développement ferroviaire du pays, de la Première Guerre mondiale à la fin des années 1930. Il explicite à la fois les intérêts économiques, politiques et militaires ayant conduit la Russie et la Grande-Bretagne à édifier la ligne Tabriz-Jolfa au nord et l’axe Zahedan-Mirjaveh au sud, le tout avec une écriture très accessible.

Qu’on ne s’y trompe pas, Trainspotter n’est aucunement un essai historique : le récit est parsemé de descriptions de locomotives et de gares, de souvenirs et de considérations personnelles. L’auteur nous embarque ensuite dans la grande épopée du chemin de fer transiranien : 1.394 kilomètres de voies construites par 90.000 ouvriers entre 1927 et 1939. Avec minutie, il retrace l’histoire de ce projet titanesque rêvé par Reza Shah dès son arrivée au pouvoir.

“L’auteur se fait archéologue du chemin de fer : il se rend de gare en gare et compare ce qu’il voit aux images d’époque.”