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Traduit par Romain Guillou, Les Fantômes de Brooklyn est un premier roman foisonnant de voix et de métaphores complexes où les images se bousculent et fusionnent pour mieux faire de ce quartier populaire une forêt magique. Aussi dangereuse qu’obsédante, elle se transforme parfois en rivage, en isthme entre deux eaux, où vivants et disparus se frôlent dans un ballet étrange et hypnotique. 

Les Fantômes de Brooklyn, Tyriek White

Dans ce premier roman, le décor a une vie propre, le béton et l’asphalte de Brooklyn palpitant au même rythme que les cœurs confus des héros, au même rythme que la musique qui pulse. Elle relie les époques, universelle dans le renouvellement permanent des tendances, dans la réapparition de chansons que l’on croyait perdues, éclipsées par les nouveautés. Ainsi, James Brown, Charlie Parker, A Tribe Called Quest et Shirley Murdock se frôlent, se répondent et se superposent aux morceaux de Kanye West, John Cage et Dilla, achevant de donner corps à cette temporalité flottante qu’imagine Tyriek White, un musicien dont l’amour pour le tempo exsude de chaque page des Fantômes de Brooklyn

Les pulsations d’un cœur urbain 

L’art populaire et celui que d’aucuns qualifient de high-brow, un art d’érudits, se mélangent eux aussi, ligne après ligne, le piano parfois silencieux de John Cage faisant donc écho aux morceaux de The Notorious B.I.G. L’un des jeunes héros flâne en effet dans les salles du MoMA et y rencontre des adolescents qui l’ouvrent à autre chose, découvre un autre univers, des œuvres et des artistes encore inconnus, restant bouche bée devant la photographie American Gothic de Gordon Parks qui donne d’ailleurs une autre couleur à ce que raconte l’auteur. 

« Entre les lignes temporelles »

Du sang d’esclaves et d’Amérindiens coule dans les veines des trois protagonistes qui appartiennent à trois générations cohabitant parfois dans un appartement et dans l’espace-temps qui a ici une consistance étrange, se condensant et s’étirant, se superposant alors que les disparus d’hier apparaissent aux vivants d’aujourd’hui. 

« Le temps ne se déplace pas dans une seule direction, mais il tourne en boucle comme la bobine d’une cassette qu’on enroule avec le capuchon d’un stylo, de manière récursive. Pavel Florensky a parlé des “deux mondes – le visible et l’invisible”, de la façon dont “la frontière de leur contact surgit inévitablement. Elle les divise tout en les unissant.” » 

Audrey a transmis ce don, peut-être malédiction, à sa fille, Key, qui l’a elle-même transmis à son fils, Colly. La grand-mère ac...