
Que dire de lâĂ©crivain Olivier Cadiot ? Zone Critique profite de la parution de son dernier ouvrage, Providence chez lâĂ©diteur P.O.L. pour Ă©baucher quelques rĂ©ponses.Â

Que dire dâOlivier Cadiot ?
Il y a de la complexité dans sa simplicité. / Il y a de la simplicité dans sa complexité.
Que dire dâOlivier Cadiot ?
Il ne change pas. / Il a dĂ©jĂ changĂ©. / Peut-ĂȘtre, il ne changera pas de sitĂŽt.
Robinson, sur le bateau dâUlysse ?
     Il en est encore Ă parler indĂ©finiment de lui-mĂȘme ? Ă lui-mĂȘme ? Ăa fait dĂ©jĂ deux. Encore. Maintenant. Câest embĂȘtant : il va falloir durcir le ton, lâaiguiser comme une lame, densifier le poĂ©tique. Noircir le poĂ©tique, câest peut-ĂȘtre ça lâultime acte contemporain ?
           Il y avait encore beaucoup de blancheur chez les modernes.
Ăcrire un livre qui dĂ©peint la blancheur de la modernité ? Un nid pour quoi faire (2007), un livre fĂ©roce oĂč, installĂ©e Ă la montagne, une cour braillarde et cruelle embauche un conseiller en communication, pour hausser la popularitĂ© du gouvernement.
« Majesté, dit-il.
           Le FrĂšre du Roi, debout Ă sa droite, tenant une petite timbale dâargent, contenant du rhum, antidĂ©presseurs pilĂ©s ? Anticoagulant ?
           Buvez ça.
           Grande table en Ă©pi, pyramide de choux Ă la crĂšme, gĂąteau de macaronis, cheveux dâange         au miel, crĂȘpes Ă tout ce quâon veut, petit-dĂ©jeuner.
           Mettez les informations.
    Nous aimions la Radio autrefois, dit le Roi Ă la grande femme assise derriĂšre lui sur un   ployant de velours rouge, CâĂ©tait il nây a pas si longtemps la radio, lâinterrompt la petite        Duchesse, câest vrai, oui câĂ©tait en ?
           CâĂ©tait quand ?
(Un nid pour quoi faire, page 9.)
Câest simple. / Câest complexe.
           Ăcrire les errances dâun post-dandy dans le milieu de lâart ? Retour dĂ©finitif et durable de lâĂȘtre aimĂ© (2002), avec dĂ©sormais son cultissime lapin vert fluo qui traverse la campagne la nuit et rĂ©pand ses lumiĂšres, en prĂ©lude, « indiffĂ©rent Ă lâidĂ©e de son Ă©trangetĂ©, dans un halo brĂ»lant, comme quand on ferme les yeux sur le souvenir de quelquâun, signal dans la nuit noire, petit point.
Sage comme une image. »
(Retour dĂ©finitif et durable de lâĂȘtre aimĂ©,page 9.)
Une histoire poétique ?
PoĂšme / Prose
Une vieille histoire.
           Ăcrire un livre, oĂč un homme de chambre (Ă la Mirbeau ?) est embauchĂ© chez une vieille famille ? Le Colonel des Zouaves (1997) : manoir-et-jardin-au-bout-dâun-lac-et-une-cabane-au-fond-du-jardin ; et, Ă la fin (nâen soyez pas outrĂ©(e)), il y a au moins un mort :
« Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc, machin, Rob, je sais pas, je suis avalĂ© dans les allĂ©es du paradis, je chante bouche fermĂ©e « Curieuxâ / Câest pas une rose que jâtouche / Câest toujours toi». Je nâentends plus rien. Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc, Ă gauche. Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc. A droite. Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc.
           Je me demande vraiment à quoi et à qui sert
           cette démocratie des sensations
           moi jâpense ci
           et moi jâpense ça
           Câest fou cette idĂ©e
           que les gens doivent donner leur avis
           dâoĂč ça sort ?
           â On ne le sait que trop, dit lâinvitĂ© inconnu.
           Câest rĂ©cent cette idĂ©e
           il y a «dâlâĂąme partout »
           on a plus quâĂ faire voter poulets et canards
           quâest ce que vous fabriquez encore ?
â Quâest-ce que vous fabriquez ? Je rĂ©alise trĂšs lentement que cette question sâadresse Ă moi. DĂ©jĂ loin, perdu dans les allĂ©es de fibres rouges et vertes, presque arrivĂ© au paradis central sans dĂ©passer les bords, Ă cloche-pied.
           Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc. Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc. Aveugle au milieu des tiges, je ramasse lâhypothĂ©tique cendre et sors. »
           (Le Colonel des Zouaves, pages 22 et 23.)
           Revenir Ă la quĂȘte de soi en sa seule solitude questionnante ? Un mage en Ă©tĂ© (2010), un livre qui imprime les premiers pas de lâautobiographie Ă travers la voix du narrateur de toujours : Robinson qui revient Ă la civilisation, fouille dans les armoires et les tiroirs, trouve des milliers de clefs, entremĂȘlĂ©es les unes aux autres, â des vestiges du passĂ©.
           Des Mémoires ?
Câest complexe. / Câest simple.
Ă nouveau.
/
On sâĂ©loigne.
En lâair.
On diverge.
Identiquement.
On plane.
Mélodiquement.
On se célestise.
Harmoniquement.
/
On plonge : / On refait surface :
« Vu une photo dans le journal, en couleur. Une femme au milieu de lâeau, une riviĂšre, un homme ? Elle a lâair bien, immobile comme ça, bras croisĂ©s. Elle compresse ses seins, cheveux mouillĂ©s, torsadĂ©s, courts, blonds. Ce qui est frappant, câest son calme. Câest juste quelquâun, au milieu de la riviĂšre verte, point fixe dans le courant, on dirait quâelle ne pense Ă rien, elle souffle, allez, on inspire. Et on expire, lâeau jusquâĂ la taille, on fait barrage de son corps, comme ça. Câest beau Ă voir, deux rides dâeau sâaccĂ©lĂšrent autour de ses hanches, elle a une moitiĂ© du corps au soleil, moitiĂ© au frais, câest parfait. Lâeau est verte, je suis allĂ© vĂ©rifier dans une autre riviĂšre cette valeur de vert. Câest approchant. Lâappareil choisit le vert tout seul, le suffisamment bon vert. Cette image rĂ©ussit Ă traduire ce que ressentirait nâimporte qui plantĂ© lĂ au milieu de lâeau. »
           (Un mage en été, page 9.)
           RafraĂźchis, on se retrouve, Ă nouveau, Ă deux : le lecteur, qui se sait lisant un livre / lâĂ©crivain, qui se sait en train dâĂ©crire / lâĂ©crivain est toujours son premier lecteur / le lecteur réécrit toujours le livre quâil lit.
           Comme une artiste-performeuse, qui ressasse Ă lâinfini les performances possibles quâelle pourra faire chez Gertrude Stein, un jeudi aprĂšs-midi
« Images mortes ?
           Est-ce quâelle veut dire une accumulation de petites particularitĂ©s, des petits ? des ? qui Ă force se solidifient, sâagglutinent jusquâĂ devenir des statues, des monuments par hasard, comme la falaise dâĂtretat ?
           Quelque chose comme ça ?
           Si je faisais une déesse de jardin ? en récitant des poÚmes italiens trÚs anciens à toute vitesse? une muse sur fontaine de lierre qui débite un listing de tour de contrÎle ? vrrr, 212 Bx nord-nord-ouest yes-yes.
           Une Diane ?
           Fond de ciel Poussin Ă grands nuages, une antenne de radio en marbre ? un bouchon de radiateur, spirit of ****, si on se met dans lâidĂ©e de lâobjet femme-industriel, cire perdue ? cafetiĂšre-femme, tĂ©lĂ©phĂ©rique-femme.
           Câest trop compliquĂ©.
           Je peux transformer ça en une Action plus danseuse sportive, corps huilĂ©, seconde peau lycra, cheveux rasĂ©s, Ă©paules de nageuse au centre dâun lac, water-polo ? nage rythmique ? je fais des messages dans un tuyau de plastique, brrr, itâs cool tonight, cooooool, cold, cold tonight, brrr.
           Câest faisable.
           Il faut produire des minutes de bonheur en faisant marcher ensemble des choses qui fonctionnent dâabord trĂšs bien toutes seules, comme la premiĂšre voiture est un composĂ© de carriole, de machine Ă vapeur, de sangle de moissonneuse batteuse et de calĂšche en cuir.
           Il faut faire ça vite fait bien fait.
           Je suis prĂ©parĂ©e pour la vitesse, profilĂ©e vitesse, je suis Ă lâavant, elle chante, je suis une fĂ©e romantique, en avant, je suis Ă©lectrique, mes neurones connectent Ă toute vitesse des Ă©lĂ©ments disjoints, je te parle Ă la vitesse du son, je me guide en te parlant, le va-et-vient des paroles me renseigne en permanence sur ma position, je suis prĂ©parĂ©e pour la vitesse, profilĂ©e vitesse, je suis Ă lâavant, comme un bouchon de radiateur en plein vent, corps huilĂ©, Ă©paules de nageuse au centre du lac glacĂ© noir de tout ce quâil y a Ă dire, lac zĂ©brĂ© de milliers de pensĂ©es-Ă©clairs, je glisse, je parle, jâavance »
           (Fairy Queen, pages 64 à 66.)
           Un contemporain qui sait jusquâoĂč aller trop loin ? / Un moderne qui ne sait pas jusquâoĂč aller trop loin ?
           Ok, ça va.
Vacances.
On nâest plus chez Boileau, ici.
Peut-ĂȘtre, chez Cocteau : « Le talent fait ce quâil veut. Le gĂ©nie fait ce quâil peut. »
Comme un instant de providence.
Quand Ulysse retrouve HélÚne.
On se dĂ©barrasse de lâaliĂ©nation par lâautre maintenu face Ă soi en se dĂ©lectant de sa seule prĂ©sence avec soi : de lâamour.
De « Lâart poĂ©ticâ »:
La vertu est si belle, que les barbares mĂȘmes lui rendent hommage
Et Pierre qui nâest pas lĂ
Le bleu, câest ce qui me va le mieux
        vous nâĂȘtes pas gentilhomme, vous nâaurez pas ma fille
                                     TOUT LE MONDE (stupéfait) : Oh !
Pourquoi nâaurai-je pas votre fille ?
                                     Car vous nâĂȘtes pas gentilhomme
Ah ? je ne savais pas
                                     TOUS (étonnés) : Oh !
Je nâai dâautre dĂ©sir que de vous ĂȘtre utile
(Ă jamais, pour jamais.)
                                     Ah ! que câest beau !
                                     devenir, rester, demeurer, vivre,
                                     mourir, tomber
Il est impossible de partir. Câest
impossible »
(Lâart poĂ©ticâ, page 13.)
       On y arrivera. Doucement. Progressivement. Et on se dĂ©doublera. Encore. Tu commenceras alors Ă vouloir rĂ©gler tes comptes : Robinson-Narrateur, qui se rĂ©volte et qui se confronte Ă son crĂ©ateur, GalatĂ©e qui gifle Pigmalyon aprĂšs lâavoir mordu Ă la lĂšvre, Faust qui chevauche MĂ©phistophĂ©lĂšs, des scĂšnes de mĂ©nage satanico-comiques :
« 10.                                                                                                             PROMENADE 428.
â Eh oui câest ça.
â Quoi câest ça ? Quoi ?
â Le bruit des feuillages obsĂ©dant [Ă voix basse]
â Hein ! quâest-ce que vous avez dit ?
â Rien.
[3 pas de plus]
â Savez-vous que la campagne que vous voyez Ă©tait recouverte par la mer !
â (âŠ)
La preuve ces fossiles dans ce tas de pierre. NON pas lĂ ! en haut⊠cherchez câest ça, 2 millions AVJC. Et bien voilĂ la mer ! Eh oui dans ce petit bout de coquille ! le bruit des feuillages obsĂ©dant â Quoi ? Quâest-ce que vous avez dit (âŠ) quoi rien ? Mais je vous entendu dire quelque chose le bruit des feuillages obsĂ©dant. »
(Futur Ancien Fugitif, page 33.)
En attendant un instant de providence.
La bĂ©atification de lâange dĂ©chu. / Le pardon Ă lâenfant prodigue.
Un instant de « Providence » :
« Reprenons. Un jour tu mâas abandonnĂ©. Je ne servais plus Ă rien. Tu mâas fait tout subir, et tu voudrais me congĂ©dier dâun claquement de doigts ! Tu crois quâon peut flanquer dehors les lapins des laboratoires aprĂšs une batterie de tests ? Tu tâes servi de moi pour fuir ton milieu, ton origine, ta famille, tes paysages, tes habitudes, tes relations. Jâai dĂ» tout avaler Ă ta place. JâĂ©tais un concentrĂ© de tes drames. Un totem. Tu as accumulĂ© sur moi tes excĂšs, ton dĂ©lire, tes visions, imaginant que tu allais en ĂȘtre dĂ©barrassĂ©. Et tu voudrais me virer ?
  Je ne vais pas lister ici tout ce que tu mâas fait subir. Je ne vais pas te faire le plaisir de citer les hauts faitsde Monsieur. Certaines personnes ont la maladie de vous parler toujours de la fĂȘte de la veille. Ils raconteront demain Ă dâautres les choses extraordinaires quâils auront vĂ©cues avec toi. Alors pas dâhistoires, câest trop dĂ©calĂ©. Je pourrais facilement remplir un registre avec lâensemble de tes actions placĂ©es sur des abscisses et des ordonnĂ©es, avec courbes, pourcentages, classements, simulations dâavenir, etc. Il y en a un par type de choses et dâĂ©vĂ©nements. Mais je ne suis pas ton secrĂ©taire.
  (âŠ)
« Tu nâas jamais parlĂ© en ton nom. Et câest maintenant que tu commencerais ? Tu me dĂ©guisais. Le valet de Casanova qui va au front Ă sa place. Merci de fabriquer mes mĂ©moires ! Tu te souviens de ce type Ă©trange qui tâavait attirĂ© dans un chĂąteau Ă©clairĂ© Ă la bougie et qui, dans une chambre, a jetĂ© sur le lit Ă baldaquin un habit tressĂ© dâor de son ancĂȘtre Premier valet de la chambre du roi. En te faisant comprendre quâil serait amusant que tu lâessayes. Je pourrais te ressortir un Ă un tes cauchemars. Mais on nâa pas le temps. »
(Providence, pages 19 et 20.)
           Et, tu te diras quâon nâa pas eu le temps. « Toi, Jeune Homme, tu te transformeras en Vieille Dame. » En nĂ©gatif, la rĂ©versibilitĂ© performative du rĂ©cit, entre le narrateur et lui-mĂȘme / lâĂ©crivain se (re)lisant / le lecteur dĂ©couvrant une aventure extraordinaire / lâĂ©crivain qui publie une extraordinaire aventure. Quitte, Ă relever ce dĂ©fi gĂ©nial : mĂ©tamorphoser Lucien RubemprĂ© en Jeune Fille qui veut rĂ©ussir Ă Paris :
« Ăa tourne et ça sâinfiltre.
           Il y a beaucoup de sas, de tourniquets : des escaliers mĂ©caniques qui ne sâarrĂȘtent jamais. On sâĂ©tonne de tout. Il y a des portes qui paraissent inutiles Ă premiĂšre vue, une deuxiĂšme au bout dâun tout petit corridor ; celles qui se doublent dâune autre Ă lâentrĂ©e dâun bureau ou dâune salle de rĂ©union. Certaines, ouvertes, sont les plus rassurantes ; on ressent une sensation de paix et de confort quand elles se referment doucement dans un clic impeccable â avec le son spĂ©cial des fermiers de laque des poudriers dâautrefois. »
           (Providence, page 130.)
Que dire dâOlivier Cadiot ?
Il y a de la simplicité dans sa complexité. / Il y a de la complexité dans sa simplicité.
Que dire dâOlivier Cadiot ? :
« Pour ne pas laisser lâauditoire sur une note pessimiste, jâattaquerai une deuxiĂšme partie de ma confĂ©rence sur lâidĂ©e quâil suffit de glisser dans sa poche un Ă©couteur â et que, presque toujours, on le retrouvera emmĂȘlĂ©. Ăa fait toujours redescendre les gens sur terre, ce type dâidĂ©e. Quelle dĂ©tente â et pour le confĂ©rencier aussi. Et, tout en dessinant au tableau, je poursuis avec une voix plus basse : abandonnĂ© quelques instants, on le ressort enroulĂ© sĂ©vĂšrement. On dirait un serpent avec ses nĆuds complexes. On nâa rien fait, personne nây a touchĂ©. LâaraignĂ©e de plastique a fabriquĂ© sa toile toute seule. Malveillance des choses ? Il en faut un peu quand mĂȘme pour fabriquer en secret des nĆuds aussi invraisemblables de griffe ou dâĂ©coute double qui se serrent en pelote immĂ©diate. Comment une chose pareille peut se produire Ă lâintĂ©rieur dâune poche sans intervention extĂ©rieure ? Câest peut-ĂȘtre une indication : la nature est un nĆud. »
           (Providence, page 230.)
Ulysse ramĂšne Robinson Ă la civilisation.
- Providence, Olivier Cadiot, .O.L. 256 pages,16 euros, janvier 2015