Olivier Cadiot
Olivier Cadiot

Que dire de l’écrivain Olivier Cadiot ? Zone Critique profite de la parution de son dernier ouvrage, Providence chez l’éditeur P.O.L. pour Ă©baucher quelques rĂ©ponses. 

2014
Janvier 2015

Que dire d’Olivier Cadiot ?

Il y a de la complexité dans sa simplicité. / Il y a de la simplicité dans sa complexité.

Que dire d’Olivier Cadiot ?

Il ne change pas. / Il a dĂ©jĂ  changĂ©. / Peut-ĂȘtre, il ne changera pas de sitĂŽt.

Robinson, sur le bateau d’Ulysse ?

          Il en est encore Ă  parler indĂ©finiment de lui-mĂȘme ? À lui-mĂȘme ? Ça fait dĂ©jĂ  deux. Encore. Maintenant. C’est embĂȘtant : il va falloir durcir le ton, l’aiguiser comme une lame, densifier le poĂ©tique. Noircir le poĂ©tique, c’est peut-ĂȘtre ça l’ultime acte contemporain ?

            Il y avait encore beaucoup de blancheur chez les modernes.

Écrire un livre qui dĂ©peint la blancheur de la modernité ? Un nid pour quoi faire (2007), un livre fĂ©roce oĂč, installĂ©e Ă  la montagne, une cour braillarde et cruelle embauche un conseiller en communication, pour hausser la popularitĂ© du gouvernement.

« Majesté, dit-il.

            Le FrĂšre du Roi, debout Ă  sa droite, tenant une petite timbale d’argent, contenant du rhum, antidĂ©presseurs pilĂ©s ? Anticoagulant ?

            Buvez ça.

            Grande table en Ă©pi, pyramide de choux Ă  la crĂšme, gĂąteau de macaronis, cheveux d’ange          au miel, crĂȘpes Ă  tout ce qu’on veut, petit-dĂ©jeuner.

            Mettez les informations.

        Nous aimions la Radio autrefois, dit le Roi Ă  la grande femme assise derriĂšre lui sur un    ployant de velours rouge, C’était il n’y a pas si longtemps la radio, l’interrompt la petite         Duchesse, c’est vrai, oui c’était en ?

            C’était quand ?

(Un nid pour quoi faire, page 9.)

C’est simple. / C’est complexe.

            Écrire les errances d’un post-dandy dans le milieu de l’art ? Retour dĂ©finitif et durable de l’ĂȘtre aimĂ© (2002), avec dĂ©sormais son cultissime lapin vert fluo qui traverse la campagne la nuit et  rĂ©pand ses lumiĂšres, en prĂ©lude, « indiffĂ©rent Ă  l’idĂ©e de son Ă©trangetĂ©, dans un halo brĂ»lant, comme quand on ferme les yeux sur le souvenir de quelqu’un, signal dans la nuit noire, petit point.

Sage comme une image. »

(Retour dĂ©finitif et durable de l’ĂȘtre aimĂ©,page 9.)

Une histoire poétique ?

PoĂšme / Prose

Une vieille histoire.

            Écrire un livre, oĂč un homme de chambre (Ă  la Mirbeau ?) est embauchĂ© chez une vieille famille ? Le Colonel des Zouaves (1997) : manoir-et-jardin-au-bout-d’un-lac-et-une-cabane-au-fond-du-jardin ; et, Ă  la fin (n’en soyez pas outrĂ©(e)), il y a au moins un mort :

« Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc, machin, Rob, je sais pas, je suis avalĂ© dans les allĂ©es du paradis, je chante bouche fermĂ©e « Curieux’ / C’est pas une rose que j’touche / C’est toujours toi». Je n’entends plus rien. Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc, À gauche. Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc. A droite. Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc.

            Je me demande vraiment à quoi et à qui sert

            cette démocratie des sensations

            moi j’pense ci

            et moi j’pense ça

            C’est fou cette idĂ©e

            que les gens doivent donner leur avis

            d’oĂč ça sort ?

            – On ne le sait que trop, dit l’invitĂ© inconnu.

            C’est rĂ©cent cette idĂ©e

            il y a «d’l’ñme partout »

            on a plus qu’à faire voter poulets et canards

            qu’est ce que vous fabriquez encore ?


— Qu’est-ce que vous fabriquez ? Je rĂ©alise trĂšs lentement que cette question s’adresse Ă  moi. DĂ©jĂ  loin, perdu dans les allĂ©es de fibres rouges et vertes, presque arrivĂ© au paradis central sans dĂ©passer les bords, Ă  cloche-pied.

            Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc. Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc. Aveugle au milieu des tiges, je ramasse l’hypothĂ©tique cendre et sors. »

            (Le Colonel des Zouaves, pages 22 et 23.)

            Revenir Ă  la quĂȘte de soi en sa seule solitude questionnante ? Un mage en Ă©tĂ© (2010), un livre qui imprime les premiers pas de l’autobiographie Ă  travers la voix du narrateur de toujours : Robinson qui revient Ă  la civilisation, fouille dans les armoires et les tiroirs, trouve des milliers de clefs, entremĂȘlĂ©es les unes aux autres, – des vestiges du passĂ©.

            Des Mémoires ?

C’est complexe. / C’est simple.

À nouveau.

/

On s’éloigne.

En l’air.

On diverge.

Identiquement.

On plane.

Mélodiquement.

On se célestise.

Harmoniquement.

/

On plonge : / On refait surface :

« Vu une photo dans le journal, en couleur. Une femme au milieu de l’eau, une riviĂšre, un homme ? Elle a l’air bien, immobile comme ça, bras croisĂ©s. Elle compresse ses seins, cheveux mouillĂ©s, torsadĂ©s, courts, blonds. Ce qui est frappant, c’est son calme. C’est juste quelqu’un, au milieu de la riviĂšre verte, point fixe dans le courant, on dirait qu’elle ne pense Ă  rien, elle souffle, allez, on inspire. Et on expire, l’eau jusqu’à la taille, on fait barrage de son corps, comme ça. C’est beau Ă  voir, deux rides d’eau s’accĂ©lĂšrent autour de ses hanches, elle a une moitiĂ© du corps au soleil, moitiĂ© au frais, c’est parfait. L’eau est verte, je suis allĂ© vĂ©rifier dans une autre riviĂšre cette valeur de vert. C’est approchant. L’appareil choisit le vert tout seul, le suffisamment bon vert. Cette image rĂ©ussit Ă  traduire ce que ressentirait n’importe qui plantĂ© lĂ  au milieu de l’eau. »

            (Un mage en été, page 9.)

            RafraĂźchis, on se retrouve, Ă  nouveau, Ă  deux : le lecteur, qui se sait lisant un livre / l’écrivain, qui se sait en train d’écrire / l’écrivain est toujours son premier lecteur / le lecteur réécrit toujours le livre qu’il lit.

            Comme une artiste-performeuse, qui ressasse à l’infini les performances possibles qu’elle pourra faire chez Gertrude Stein, un jeudi aprùs-midi

« Images mortes ?

            Est-ce qu’elle veut dire une accumulation de petites particularitĂ©s, des petits ? des ? qui Ă  force se solidifient, s’agglutinent jusqu’à devenir des statues, des monuments par hasard, comme la falaise d’Étretat ?

            Quelque chose comme ça ?

            Si je faisais une déesse de jardin ? en récitant des poÚmes italiens trÚs anciens à toute vitesse? une muse sur fontaine de lierre qui débite un listing de tour de contrÎle ? vrrr, 212 Bx nord-nord-ouest yes-yes.

            Une Diane ?

            Fond de ciel Poussin Ă  grands nuages, une antenne de radio en marbre ? un bouchon de radiateur, spirit of ****, si on se met dans l’idĂ©e de l’objet femme-industriel, cire perdue ? cafetiĂšre-femme, tĂ©lĂ©phĂ©rique-femme.

            C’est trop compliquĂ©.

            Je peux transformer ça en une Action plus danseuse sportive, corps huilĂ©, seconde peau lycra, cheveux rasĂ©s, Ă©paules de nageuse au centre d’un lac, water-polo ? nage rythmique ? je fais des messages dans un tuyau de plastique, brrr, it’s cool tonight, cooooool, cold, cold tonight, brrr.

            C’est faisable.

            Il faut produire des minutes de bonheur en faisant marcher ensemble des choses qui fonctionnent d’abord trĂšs bien toutes seules, comme la premiĂšre voiture est un composĂ© de carriole, de machine Ă  vapeur, de sangle de moissonneuse batteuse et de calĂšche en cuir.

            Il faut faire ça vite fait bien fait.

            Je suis prĂ©parĂ©e pour la vitesse, profilĂ©e vitesse, je suis Ă  l’avant, elle chante, je suis une fĂ©e romantique, en avant, je suis Ă©lectrique, mes neurones connectent Ă  toute vitesse des Ă©lĂ©ments disjoints, je te parle Ă  la vitesse du son, je me guide en te parlant, le va-et-vient des paroles me renseigne en permanence sur ma position, je suis prĂ©parĂ©e pour la vitesse, profilĂ©e vitesse, je suis Ă  l’avant, comme un bouchon de radiateur en plein vent, corps huilĂ©, Ă©paules de nageuse au centre du lac glacĂ© noir de tout ce qu’il y a Ă  dire, lac zĂ©brĂ© de milliers de pensĂ©es-Ă©clairs, je glisse, je parle, j’avance »

            (Fairy Queen, pages 64 à 66.)

            Un contemporain qui sait jusqu’oĂč aller trop loin ? / Un moderne qui ne sait pas jusqu’oĂč aller trop loin ?

            Ok, ça va.

Vacances.

On n’est plus chez Boileau, ici.

Peut-ĂȘtre, chez Cocteau : « Le talent fait ce qu’il veut. Le gĂ©nie fait ce qu’il peut. »

Comme un instant de providence.

Quand Ulysse retrouve HélÚne.

On se dĂ©barrasse de l’aliĂ©nation par l’autre maintenu face Ă  soi en se dĂ©lectant de sa seule prĂ©sence avec soi : de l’amour.

De « L’art poĂ©tic’ »:

La vertu est si belle, que les barbares mĂȘmes lui rendent hommage

Et Pierre qui n’est pas là

Le bleu, c’est ce qui me va le mieux

         vous n’ĂȘtes pas gentilhomme, vous n’aurez pas ma fille

                                      TOUT LE MONDE (stupéfait) : Oh !

Pourquoi n’aurai-je pas votre fille ?

                                      Car vous n’ĂȘtes pas gentilhomme

Ah ? je ne savais pas

                                      TOUS (étonnés) : Oh !

Je n’ai d’autre dĂ©sir que de vous ĂȘtre utile

(Ă  jamais, pour jamais.)

                                      Ah ! que c’est beau !

                                      devenir, rester, demeurer, vivre,

                                      mourir, tomber

Il est impossible de partir. C’est

impossible »

(L’art poĂ©tic’, page 13.)

            On y arrivera. Doucement. Progressivement. Et on se dĂ©doublera. Encore. Tu commenceras alors Ă  vouloir rĂ©gler tes comptes : Robinson-Narrateur, qui se rĂ©volte et qui se confronte Ă  son crĂ©ateur, GalatĂ©e qui gifle Pigmalyon aprĂšs l’avoir mordu Ă  la lĂšvre, Faust qui chevauche MĂ©phistophĂ©lĂšs, des scĂšnes de mĂ©nage satanico-comiques :

« 10.                                                                                                              PROMENADE 428.

— Eh oui c’est ça.

— Quoi c’est ça ? Quoi ?

— Le bruit des feuillages obsĂ©dant [Ă  voix basse]

— Hein ! qu’est-ce que vous avez dit ?

— Rien.

[3 pas de plus]

— Savez-vous que la campagne que vous voyez Ă©tait recouverte par la mer !

— (
)

La preuve ces fossiles dans ce tas de pierre. NON pas lĂ  ! en haut
 cherchez c’est ça, 2 millions AVJC. Et bien voilĂ  la mer ! Eh oui dans ce petit bout de coquille ! le bruit des feuillages obsĂ©dant — Quoi ? Qu’est-ce que vous avez dit (
) quoi rien ? Mais je vous entendu dire quelque chose le bruit des feuillages obsĂ©dant. »

(Futur Ancien Fugitif, page 33.)

En attendant un instant de providence.

La bĂ©atification de l’ange dĂ©chu. / Le pardon Ă  l’enfant prodigue.

Un instant de « Providence » :

« Reprenons. Un jour tu m’as abandonnĂ©. Je ne servais plus Ă  rien. Tu m’as fait tout subir, et tu voudrais me congĂ©dier d’un claquement de doigts ! Tu crois qu’on peut flanquer dehors les lapins des laboratoires aprĂšs une batterie de tests ? Tu t’es servi de moi pour fuir ton milieu, ton origine, ta famille, tes paysages, tes habitudes, tes relations. J’ai dĂ» tout avaler Ă  ta place. J’étais un concentrĂ© de tes drames. Un totem. Tu as accumulĂ© sur moi tes excĂšs, ton dĂ©lire, tes visions, imaginant que tu allais en ĂȘtre dĂ©barrassĂ©. Et tu voudrais me virer ?

   Je ne vais pas lister ici tout ce que tu m’as fait subir. Je ne vais pas te faire le plaisir de citer les hauts faitsde Monsieur. Certaines personnes ont la maladie de vous parler toujours de la fĂȘte de la veille. Ils raconteront demain Ă  d’autres les choses extraordinaires qu’ils auront vĂ©cues avec toi. Alors pas d’histoires, c’est trop dĂ©calĂ©. Je pourrais facilement remplir un registre avec l’ensemble de tes actions placĂ©es sur des abscisses et des ordonnĂ©es, avec courbes, pourcentages, classements, simulations d’avenir, etc. Il y en a un par type de choses et d’évĂ©nements. Mais je ne suis pas ton secrĂ©taire.

   (
)

« Tu n’as jamais parlĂ© en ton nom. Et c’est maintenant que tu commencerais ? Tu me dĂ©guisais. Le valet de Casanova qui va au front Ă  sa place. Merci de fabriquer mes mĂ©moires ! Tu te souviens de ce type Ă©trange qui t’avait attirĂ© dans un chĂąteau Ă©clairĂ© Ă  la bougie et qui, dans une chambre, a jetĂ© sur le lit Ă  baldaquin un habit tressĂ© d’or de son ancĂȘtre Premier valet de la chambre du roi. En te faisant comprendre qu’il serait amusant que tu l’essayes. Je pourrais te ressortir un Ă  un tes cauchemars. Mais on n’a pas le temps. »

(Providence, pages 19 et 20.)

            Et, tu te diras qu’on n’a pas eu le temps. « Toi, Jeune Homme, tu te transformeras en Vieille Dame. » En nĂ©gatif, la rĂ©versibilitĂ© performative du rĂ©cit, entre le narrateur et lui-mĂȘme / l’écrivain se (re)lisant / le lecteur dĂ©couvrant une aventure extraordinaire / l’écrivain qui publie une extraordinaire aventure. Quitte, Ă  relever ce dĂ©fi gĂ©nial : mĂ©tamorphoser Lucien RubemprĂ© en Jeune Fille qui veut rĂ©ussir Ă  Paris :

« Ça tourne et ça s’infiltre.

            Il y a beaucoup de sas, de tourniquets : des escaliers mĂ©caniques qui ne s’arrĂȘtent jamais. On s’étonne de tout. Il y a des portes qui paraissent inutiles Ă  premiĂšre vue, une deuxiĂšme au bout d’un tout petit corridor ; celles qui se doublent d’une autre Ă  l’entrĂ©e d’un bureau ou d’une salle de rĂ©union. Certaines, ouvertes, sont les plus rassurantes ; on ressent une sensation de paix et de confort quand elles se referment doucement dans un clic impeccable — avec le son spĂ©cial des fermiers de laque des poudriers d’autrefois. »

            (Providence, page 130.)

Que dire d’Olivier Cadiot ?

Il y a de la simplicité dans sa complexité. / Il y a de la complexité dans sa simplicité.

Que dire d’Olivier Cadiot ? :

« Pour ne pas laisser l’auditoire sur une note pessimiste, j’attaquerai une deuxiĂšme partie de ma confĂ©rence sur l’idĂ©e qu’il suffit de glisser dans sa poche un Ă©couteur – et que, presque toujours, on le retrouvera emmĂȘlĂ©. Ça fait toujours redescendre les gens sur terre, ce type d’idĂ©e. Quelle dĂ©tente – et pour le confĂ©rencier aussi. Et, tout en dessinant au tableau, je poursuis avec une voix plus basse : abandonnĂ© quelques instants, on le ressort enroulĂ© sĂ©vĂšrement. On dirait un serpent avec ses nƓuds complexes. On n’a rien fait, personne n’y a touchĂ©. L’araignĂ©e de plastique a fabriquĂ© sa toile toute seule. Malveillance des choses ? Il en faut un peu quand mĂȘme pour fabriquer en secret des nƓuds aussi invraisemblables de griffe ou d’écoute double qui se serrent en pelote immĂ©diate. Comment une chose pareille peut se produire Ă  l’intĂ©rieur d’une poche sans intervention extĂ©rieure ? C’est peut-ĂȘtre une indication : la nature est un nƓud. »

            (Providence, page 230.)

Ulysse ramĂšne Robinson Ă  la civilisation.

  • Providence, Olivier Cadiot, .O.L. 256 pages,16 euros, janvier 2015